"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (са посветом аутора)

LES ILLYRIENS AVANT « LA GUZLA ».

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coutumes barbares, des croyances populaires, voire même de l’ignorance. Rousseau eût abhorré la superstition. dont en vraie dilettante littéraire était amoureuse la comtesse de Rosenberg. Car, si l’on cherche les influences qui peuvent expliquer jusqu’à un certain point, cela va sans dire cette manie du « primitif », on les trouvera dans cette autre source du romantisme : les poèmes ossianiques de Macpherson, poèmes où se retrouvent des idées et des sentiments chers à Rousseau, encore que ces deux auteurs n’aient nullement influé l’un sur l’autre 1 . Les Morlaques furent écrits à l’époque la plus ardente, durant la longue vogue de « l’Homère celtique », et ils en portent visiblement les traces. L’abbé Cesarotti, critique influent, traducteur italien du barde écossais, et, de plus, son grand admirateur, partageait l’intimité de la comtesse de Rosenberg. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’on rencontre dans la Morlaquie semi-arcadienne de cette spirituelle dame, non seulement la monotonie sauvage, la mélancolie du passé, le vague du paysage, «les haines renfermées au fond des cœurs», sentiments de l’époque auxquels le fils de Fingal devait la plus grande partie de son succès, mais aussi et surtout cet autre trait des chants ossianiques, plus original et plus distinctif celui-là, vrai trait celtique, « heureuse erreur des peuples vivant sous la Grande Ourse », qui « ignorent la pire des craintes, celle de la mort 2 » : l’amour des catastrophes terribles et des massacres fatals, la glorification de la haine meurtrière scandée solennellement dans la phrase pathétique du barde plaintif. Et cette

1 Cf. Joseph Texte, Jean-Jacques Rousseau et le cosmopolitisme littéraire, Paris, 1895, pp. 384-440. - J.-J. Jusserand, Histoire littéraire du peuple anglais, t. I, p. 7.