"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université
LES ILLYRIENS AVANT « LA GUZLA ».
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Tiescimir et Vukossava, Chanson de mort pour le Staréscina de Rostar, Chanson de mort de Jervaz. Le biographe de la comtesse de Rosenberg nous assure gravement que quelques-unes de ces poésies sont tirées « d’un recueil d’anciens chants, héroïques, publié dans le courant du xvm e siècle par un religieux dalmate, le P. Morvizza » ; les autres, inédites, auraient été rapportées et traduites à Justine Wynne par ses amis de Venise 1 . « Ces chansons, ajoute-t-il, appartiennent à des époques fort différentes; l’une des plus anciennes, Tiescimir et Vukossava (p. 254), est évidemment antérieure à l’invasion musulmane. » Ces poésies ne sont que des contrefaçons; l’auteur de la notice que nous citons se trompait, mais il n’était pas le premier qui tombait dans cette erreur, car on verra dans les pages qui vont suivre que M me de Staël, non plus, ne les suspectait pas. Charles Nodier, qui affectait une connaissance de « l’illyrien », prétendait également que les « morceaux de poésie esclavonne » sont « bien choisis » et que « le style de la traduction a quelque chose de la naïveté, du nerf et de la couleur de l’original 2 ». « Le P. Morvizza, religieux dalmate du xvm® siècle », n’ayant eu qu’une existence fictive, aucune des poésies insérées dans les Morlaques ne pouvait être tirée d'un recueil imaginaire. Il est probable que le baron Ernouf pensait à un autre religieux dalmate qui avait publié au xvin e siècle une collection de chants serbo-croates, André Kaéic-Miosié, l’auteur des Entretiens familiers dont nous avons déjà parlé; mais les ballades de ce
1 Bulletin du Bibliophile, 1858, pp, 1005 et 1011. 2 Charles Nodier, Mélanges tirés d’une petite bibliothèque, pp. 189 et 192.