La Serbie
i]lme Année. — No 40
RÉDACTION et ADMINISTRATION @, rue du XXXI Décembre - Genève
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JOURNAL
POLITIQUE
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Paraissant tous les Lundis
Finis Austriae !
A plusieurs reprises, nous avons affirmé ici-
. même que la solution du problème austro-
- hongrois ne se trouvait plus entre les mains des dirigeants de la Monarchie dualiste et que Je sort de celle-ci ne dépendait plus ni de son souverain, ni de sa dynastie, mais uniquement des peuples qui la composent: de leur attitude, de leurs efforts et de leurs sacrifices. C'est la situation de ce pays dans son ensemble que nous avions en vue en déclarant autrefois que nulle combinaison politique ne pourrait plus sauver la Monarchie dualiste de sa ruine certaine.
Notre point de vue, qui paraissait alors un peu risqué, se trouve à présent confirmé d’une manière éclatante par la réponse du président Wilson à la dernière note autrichienne. Cette réponse reconnaissant aux peuples de l'Autriche-Hongrie le droit de disposer librement de leur sort, décidera en même temps du sort de ces peuples et de celui de la Monarchie danubienne à laquelle le président Wilson vient de porter ainsi le dernier coup — le coup de grâce américain |
Provoqué par la note auttichienne, le président Wilson vient de donner une explication franche et précise sur sa conduite et sur la position prise par les Etats-Unis vis-à-vis de l’Autriche-Hongrie.
Président d'un gouvernement démocratique, il refuse de négocier avec un gouvernement auquel la majorité des peuples vient de retirer le mandat de gouverner le pays et de parler en son nom. Sa dernière réponse, si hardie qu'elle puisse paraître au prime abord, n'est d'ailleurs que la suite logique de la situation créée par les événements qui se sont déroulés ces derniers jours.
Ces dernières semaines, la Monarchie vivait dans-un état de révolution. La dernière séance du Reïchstag autrichien, où l’on entendit les discours vibrants des députés slaves, rappelait le fameux serment du Jeu de Paume. Les paroles de Stanek, de Korochec et Daszinski ont eu le même accent révolutionnaire et le même effet sur le peuple. Après de telles manifestations de volonté, de vivre libre ou de mourir, après de nombreux exploits des armées tchéco-slovaques et yougoslaves sur les champs de bataille, quelle pouvait être l'attitude du président des Etats-Unis, sinon de consacrer ces faits en leur donnant une sanction juridique et internationale ?
M. Wilson rappelle au gouvernement austrohongrois que certains événements de la plus haute importance, survenus depuis son message - du 8 janvier, ont nécessairement modifié son attitude et la responsabilité des Etats-Unis.
Le gouvernement américain ayant déclaré que les Yougoslaves ont droit à la liberté, ayant reconnu les Tchéco-Slovaques pour des belligérants et leur Conseil National comme gouvernement de la nation tchéco-slovaque, M. Wilson estime maintenant, avec raison, qu'il n'est plus libre d'accepter simplement l'autonomie de ces peuples comme une base de la paix. © C'est aux peuples eux-mêmes de juger quelle mesure le gouvernement austrohongrois doit prendre pour satisfaire leurs as-
pirations ».
C'est une vérité bien connue que l'Autriche ne sut jamais évoluer avec le temps, ni faire des concessions qu'exigeait le développement de la vie de ses peuples. D'autre part, même en faisant parfois des concessions sous la pression des circonstances, elle ne fut jamais de bonne foi, puisque elle ne les donna qu'avec l'arrière
pensée de les retirer ensuite.
F de leurs alliés,
Tout le passé de la Monaïchie, depuis Joseph Ï jusqu'à no: jours, est là pour le prouver. On n'a qu'à se rappeler les nombreux rescripts donnés, puis retirés ;: les engagements violés et les promesses non tenues, car les rois apostoliques ne reculaient devant rien lorsque «le salut » de la Monarchie l'exigeait. Nous publierons prochainement le rescript impérial de 1849, reconnaissant l'autonomie au Duché Serbe en Hongrie, dont il ne reste plus trace de nos jours. Ainsi verra-t-on que la théorie du chiffon de papier à été pratiquée par l'Autriche bien avant l'Allemagne.
L’Autriche expire aujourd'hui, accablée par le poids de ses propres fautes, lourdes et innombrables. Le dernier Habsbourg ne règnera plus que sur un territoire à peine plus grand de celui qui fut le fief des premiers Habsbourg. Des onze nationalités qui se trouvent en Autriche, il ne s'en trouvera pas une seule pour pleurer le sort de la Monarchie.
Les peuples de l'Autriche-Hongrie se dépêchent aujourd'hui, l'un après l'autre, de s’émanciper de la « mère-patrie» avant que celle-ci ait rendu le dernier soupir! Le vieux François Joseph a eu le bon sens de quitter ce monde à temps. Derrière son cercueil marchaient encore les représentants des diverses nationalités, espérant enterrer avec lui le mauvais sort de leurs peuples. Derrière le cercueil de l’Aurriche-Hongrie, que l’on va enterrer demain, ne se trouvera personne hormis quelques magnats et archiducs, qui viendront pleurer celle dont la mort fera disparaitre leurs privilèges et leurs titres. M.-D. MARINCOVITCH.
A la Serbie !
— Un hommage suisse —
Nous voulons aujourd'hui saluer surtout ce grand fait qui remplit toute l'Europe libérale de tœe: le retour des armées serbes dans leur patrie, La défaite bulgare et la victoire serbe n'ont pas seulement une importance militaire et politique, elles ont une portée morale considérable, Elles soulagont la conscience du monde d'un poids très lourd et sont un gage qui accroît 5a fou dans la justice et dans fe triomphe final du biem,
Lorsque le 28 Juillet 1914 sous un prétexte, l'arrogante et püissante Autriche, flanquée de l'Allemagne, déclara la guerre à ce petit peuple d'agriculteurs qui ne voulait pas se_courber sous la cravache, nous, citoyens d’un petit pays, qui met son indépendance au-dessus de tous les autres biens, nous nous sommes, mn'esi-ce pas, sentis solidaires et plus intimement unis à lui Ses juoubliables victoires de 1914 ont fait retentir dans nes mémoires les plus beaux noms de notre histoire, Et nous avons souffert, avec lui, lors de cette retraite fabuleuse, et héroïque de tout un
peuple en aëtresse, pendant l'hiver, à travers les
montagnes et les ravins de l'Albanie, qui restera un des moments les plus tragiques de cette guerre, Mais, pour une nalion que nul malheur ne réussit Jamais à abattre, de telles épreuves aeviennent un titre de gloire. :
Car il faut rendre cetle Justice aux Serbes, que, traqués, décimeés, captifs, exilés, sans nouvelles les unis des autres et souvent sans ressources, ils m'ont jamais (diésespéré de cette patrie dont le signe visible leur avait été arraché, maïs dont l'image éternelle restait vivante dans le cœur de chacun d'eux. Et ils ont su résister aux embüûdhes et aux tentations que ne cessaient de leur tendre leurs ennemis: cela aussi peut être considéré comime une victoire. -
Et aemain, des soldats serbes occuperont Sofia,
Les Bulgares méritent leur sort. Peut-être ce peuple, dont la naissance à l'indépendance ct les premières gloires avaient réoui notre jeunesse, estil victime plus encore de la fourberie de son roi que de Ses propres déficits. Le roi de Serbie, roi démocrate d'un peuple démocratique, est un enfant du pays serbe. Ferdinand .de Bulgarie est un de ces souverains d'importation allemanace comme l'Europe en a trop accepté, et comme l'Allemagne en préparait hier encore tout un lot: pour l'Esthonie, pour la Poloone, pour la Finlande... L'exemple de la Grèce et celui ae la Bulgarie sont là qui montrent cé que valent pour leurs peuples de tels souverains,
Puissent les vaillantes légions serbes, appuyées bouter définitivement l'ennemi hors. de leurs frontières, Et saluons par avance celle Grande Serbie de demain, qui Saura, nous en avons le ferme espoir, être digne de son glorieux passé. Louis DEBARGE.
Rédacteur en chef : D: Lazare MARCOVITCH,
professeur
à l’Université de Belgrade
DEBDOMADAIRE
Genève, Lundi 28 Octobre 1918
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ABONNEMENT }
Les funérailles de la Monarchie des Habsbourg
L'Autriche- Hongrie est morte. C'est ce que les journaux germano-allemands viennent de proclamer avec une amertume à peine cachce.
La jocon banale dont l'Europe se débarrasse. d'uf$ Monarchie «rénérable » a cépeñdant pro- |
fondement affligé la « Neue Freie Presse ». l'organe attitré de la défunte, qui se plaint amèrement de ce qu'on ne lui a pas accordé des funérailles nationales. Cette Autriche, écrit la « Neue Freie Presse» du 17 octobre, que tout le ronde abandonne aujourd'hui, n'a pas été si méchante pour ses peuples, et elle n’a pas mérité d’être enterrée d’une façon aussi simple et aussi inamicale. Et le journal viennois nous raconte comment l’empereur Frantz avait rencontré un jour, en se promenant, un corbillard qui n'était suioi de personne, et comment il est allé accompagner le mort jusqu'à son lieu de repos. « L'Autriche laisse, elle aussi, très peu d'affiigési.et il n'y a personne pour lui rendre les derniers honneurs.»
En effet, la mort si longtemps attendue de la Monarchie dualiste n’a provoqué nulle part une émotion quelconque. Les causes en sont nombreuses et la K Neue Freie Presse » les connait
intéressés on s'abstient de rendre les honneurs habituels. Si les temps n'étaient pas trop sérieux nous pourrions proposer un Ersatz-deutl
qui est pratiqué chez certains peuples primitifs.
Dans le cas où le défuntne laisse pas de parents ou d'amis derrière lui, qui pourraient pleurer sa mort, on engage. moyennant une récompense spéciale, de pauvres créatures pour accompagner le cercueil et pousser des cris de douleur et d'affection. Or il n’est pas douteux qu’une procession, montée avec tout le décor nécessaire, et accompagnée de crieurs loués pour cette besogne, répondrait bien aux désirs exprimés par la « Neue Freie Presse». Seulement, pour pouvoir le faire, il faut que la paix soit d'abord conclue, que les peuples reprennent leur liberté et que le carnaval revienne avec tout son éclat et toutes ses plaisanteries permises. C'est alors qu'on aura aussi le loisir d'organiser les funérailles dignes de l'Autriche Hongrie. Et la « Neue Freie Presse », si elle suroit à la disparition de l'Autriche, pourra constater que sa plainte à été entendue et que les peuples reconnaissants se sont acquittés de leur dette envers celle qui était toujoure leur « mère » et leur
très bien. Il n'est donc nullement étonnant que | “ protectrice » !
même sans aucune déclaration particulière des
La proclamation de l'unité yougoslave à Zagreb
Un pas décisit vient d’être fait par les représentants autorisés de. tous les partis et de tous les courants serbo-croato-slovèn2s.de l’ancienne — on peut nous passer le mot aujourd’hui — monarchie des Habsbourg. À Zagreb, le Conseil National des Slovènes, Croates et Serbes, formé il y a quelques jours, a pris une décision hislorique dont rous publions le texte ailleurs et qui marque une nouvelle étape dans la réalisation de notre unité nationale. Au programme national de la libre Serbie, formulé franchement dès le début de la guerre, l’autre partie de la nation serbocroate et slovène vivant sous la botte austro-magyare n'a pu pendant longtemps donner son consentement et son- adhésion ouverts.
L'idée de l’unité nationale avait cependant pénétré bien avant la guerre mondiale les meilleurs esprits de notre peuple à trois noms; elle vivait dans la littérature, dans les arts, dans l'idéologie politique et culturelle des Serbo-Croates et Slovènes, mais son développement et sa réalisation furent systématiquement entravés par l’Autriche-Hongrie qui y voyait le commencement de la fin de son régime policier. Toute la politique de l’AutricheHongrie vis-à-vis du royaume de Serbie avait pour point de départ l'empêchement de l'union des Serbo-Croates et Slovènes. Il serait long de citer ici les nombreux moyens dont la monarchie se servait pour séparer les diflérents membres de notre famille unique nationale pour pouvoir les tenir tous dans un esclavage impudent. Efforts inutiles, puisqu'il s'agissait d’un peuple conscient de sa nationalité, de sa force et de son droit naturel à la liberté et l'indépendance. Les Serbo-Croates et Slovènes passèrent par un joug cinq fois séculaire, changeant souvent des. maîlres nominatifs (Touraniens, Germains) mais conservant intacte et pleine de vie et de foi leur conscience nationale.
- Les victoires serbes de 1912 et 13, présage heureux de la délivrance prochaine, retentirent dans les plus petites chaumières yougoslaves. Les cœurs serbes, croates et slovènes vibrèrent d’un seul sentiment, et les exploits glorieux de l’armée serbe à Koumanovo, Bitolj et ailleurs furent célébrées en Bosnie, en Dalmatie, en Croatie, à Ljubljana et partout dans les pays yougo-
slaves presque plus qu'en Serbie même. C'est à Zagreb en effet qu'au milieu des officiers austro-hongrois, le général Grba, commandant du corps, s'inclina avec respect devant la bravoure et l’endurance des soldats serbes qui, après avoir franchi les montagnes albanaïises, s’élancèrent vers Adriatique pour y baigner leurs chevaux fatigués, aux cris émouvants: la mer, la mer! L’Autriche s’en émut, elle aussi, mais pour d'autres motifs. Après avoir vainement essayé de paralyser l'essor serbe par l’attaque traîtresse de la Bulgarie, elle prit les armes elle-même et, de connivence avec l'Allemagne, déclara la guerre à la Serbie. Battue en 1914, elle vint à la res-
cousse en 1915, secourue par l'Allemagne
et la Bulgarie, et réussit à envahir la Serbie. Ce succès militaire, remporté surtout grâce à la félonie bulgare, n'eut aucun effet politique. Après la plus terrible catastrophe qu’un peuple ait jamais subi, le peuple serbe et son souverain national ne fléchirent un instant dans leur résolution inébranlable de lutter jusqu'aux derniers souffles. Ils déclarent à Londres, en avril 1916, avec I: plus grande solennité, que la Serbie combat pour la délivrance de tous ses frères de race et leur réunion en un Etat indépendant, membre honnête et égal de la future Société des Nations.
Les événements ultérieurs se développèrent avec une logique impeccable. Les Serbo-Croates et Slovènes en Autriche-Hongrie devant se taire ceux qui avaient l'occasion de déserter ou de se rendre en profitaient largement pour se rallier à leurs frères de Serbie. Les aspirations nationales de notre peuple subjugué furent présentées au monde entier par le Comité Yougoslave dont les membres échappés à la police autrichienne, pouvaient parler en toute liberté. La révolution russe obligea la Monarchie de monter une comédie du constitutionnalisme et da parlementarisme qui échoua piteusement. À la première séance du parlement de Vienne, le 30 mai 1917, les députés yougoslayes lurent une déclaration disant que les Serbo-Croales et Slcvènes réclament l'indépendance. Au mois de juillet de la même année le gouvernement de Serbie et le Comité Yougoslave publièrent la Déclaration de Corfou qui fixait les principes de l’organisation future de l'Etat unitaire serbo-croato-slovène.
Per PIE