La Serbie

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ON et ADMINISTRATION xxxI Décembre - Genève Téléphone 14.06

RÉDACTI @, rue du

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Paraissant tou Rédacteur en chef : D: Lazare MARCOVITCH,. professeur à l'Université de Belgrade

La délégation yougoslave à Genève

Des grands événements sont en cours et des plus belles perspectives s'ouvrent devant le peuple serbe, croate et slovène. De toutes

parts arrivent des nouvelles réjouissantes sur les progrès accomplis dans la préparation de l'indépendance et de l'unité politique de notre peuple. L'ayance des troupes serbes vers la Save, le Danube et la Drina coïncide avec la formation à Zagreb, du Conseil National des Slovènes, Croates et Serbes chargé de conduire le mouvement national de notre peuple en Autriche-Hongrie. Nous sommes venus au tournant de l’histoire et il ne manque qu'un geste pour proclamer la séparation totale de l'Autriche-Hongrie et l'union complète et

intégrale de toute la nation serbe, croate et.

slovène, de l'Adriatique jusqu'au Vardar, de

Voiïvodina jusqu'aux montagnes historiques ma”

cédoniennes d'où partirent les Serbes pour la reconquête de leur patrie. D'accord parfait avec nos frères tchéco-slovaques et polonais, en harmonie avec la Roumanie patriotique et l'Italie mazzinienne, les Slovènes, Croates et Serbes s'apprêtent à poser les bases concrètes de leur Etat libre et démocratique. D'un commun effort les trois branches de notre peuple unique, rivalisent pour faciliter la grande œuvre d'union nationale. Et comme symbole vivant de cette coopération et de cette solidarité nationales nous avons le bonheur et te plaisir de pouvoir saluer à Genève, sur le libre sol helvétique, les délégués yougoslaves, le D' Korochets, le Dr Tchingria et le Dr Jeriav. Les conférences que ces artisans distingués de l'unité yougoslave auront avec les représentants du Royaume de Serbie et du Monténégro, l'échange de vues et d'informations avec leurs camarades du Comité Yougoslave, ce contact libre et direct doit aboutir à des résultats grands et positifs.

Dans ces moments si décisifs pour l'avenir de notre peuple tout entier, à l'aube de la réalisation de notre idéal le plus cher et le plus élevé, quel autre sentiment puisse nous animer que celui d'une foi absolue dans l'intelligence et le patriotisme de ceux qui sont appelés par la volonté du peuple à construire notre édifice national ?

Cette œuvre de résurrection et de construction ne semble pas pouvoir s’accomplir sans de nouvelles secousses et de nouveaux efforts. Malgré les concessions apparentes dans la note du nouveau ministre commun des affaires étrangères, le comte Andrassy, on a toutes les raisons de se méfier. La note d'Andrassy suppose l'existence de la Monarchie des Habsbourg, tandis que la reconnaissance de l'indépendance des Tchéco-Slovaques, des Serbes, Croates et Slovènes, et l'application juste et loyale des principes de Wilson signifient la dissolution de l'Autriche-Hongrie et son. remplacement par de nouveaux organismes, jeunes, vigou” reux et viables. Îl en résulte logiquement et forcément qu'avant toute autre chose, un changement de base s'impose, et que, simultané ment avec la capitulation de l’armée austrohongroise — qui est aujourd'hui un non-sens, parce qu'un Etat qui n'existe pas, ñe peut avoir d'armée — il faut remettre l'administration et le gouvernement de chaque peuple dans ses propres mains. Ce n’est qu'à cette condition et uniquement à cette condition que l'on peut causer d'un armistice avec les Habsbourg.

Les Magyars, qui sont nos pires ennemis et qui proclament toujours la théorie de l'intégrité de leurs possessions territoriales, sont en train de monter une comédie de démocratisation et

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de nationalisation, dans laquelle ils mettent

tous leurs espoirs. Cette intrigue nouvelle, cette,

mascarade arrangée, ne trompera personne. Les Magyars doivent se dessaisir des biens d'autrui; les territoires roumains, slovaques, serbes et croates sont à remettre aux peuples respectifs, et ce n'est qu'avec une Magyarie purement magyare que l'Europe nouvelle peut se mettre en rapports réguliers, L. M.

La séparation de la Croatie _ de la Hongrie

— Un acte historique —,

Le 29 octobre, à la Diète de Croatie, le député Svetosar Pribitchevitch a présenté la proposition suivante :

La Diète est invitée à décider que les rapports constitutionnels entre la Dalmatie, la Croatie, la Slavonie, Fiume et le royaume de Hongrie d’une part, ainsi qu'entre la Croatie et l'Autriche d’autre part, sont supprimés. Elle est invi-

tée en outre à décider en particulier que la loi

de compromis entre la Hongrie et la Croatie, y

compris les articles constitutionnels, soit déclarée nulle et non avenue et qu'en conséquence le royaume de Croatie, de Slavonie et de Dalmatie doit être considéré dès maintenant comme aulonome et indépendant, sous tous les rapports, de

la Hongrie et de l'Autriche.

| Za proposition est motivée comme sui: Le peuple des Croates, des Slovènes et des

Serbes ne veut plus avoir de rapports ni àvec

l'Autriche, ni avec la Hongrie. Il réclame seulement l'union de tout le peuple sud-slave

dans son territoire ethnographique, depuis larégion de l'Tsonzo jusqu’au Vardar, en un Etat

libre, souverain et indépendant. Le Sabor n’a

aucun droit de prendre des décisions définitives

au sujet de la structure intérieure de l'Etat, car il ne représente qu'une partie de notre peuple

désigné par trois noms différents. Il appar-

tiendra à l'Assemblée constituante de prendre

des décisions au sujet de la forme de l’Etat et

de la constitution. Le nouvel Etat sera établi

sur une base démocratique et conformément aux principes de l'égalité de tous les droits des peuples au point de vue national et social.

Le président a mis aux voix la proposition de M. Pribitchevitch, qui a été adoptée à l’unanimité au milieu d’un enthousiasme général.

L'assassinat du comte Tisza

— La fin d'un coupable —

Le comte Tisza vient de payer de la vie sa politique criminelle qui a mis en flame mes le monde entier, Mais il n’a pas quitté la terre sans avoir révélé, de la tribund ‘du Parlement hongrois, les machinations ef la préméditalion du gouvernement austror hongrois, Le discours de Tisza sur les plans autrichiens de changer par force a situation créée par le traité de Bucarest de 1913, est un document mémorable, de imêmie que ses révélations sur l'historique de l’ultimatum à la Serbie, Nous reproduirons dan le prochain numéro ce dernier discours, qui a échappé à l'opinion publique européenne, mais qui constitue la meilleure justification pour la liquidation totale d’un Etat qui n’a songé qu'à la guerre et à l'exterminalion des petits peuples. En effet, la guerre préventive à laquelle l'AutricheHongrie s'était décidée d’un cœur si léger, malgré les supplications de toute l'Europe, cette guerre est le crime le plus abominable commis contre l'Humanité, Et le comte Tisza déclarait ouvertement et cyniquement, le 22 actobre dernier, que YAutriche-Hongrie avait préparé et déchaîné une telle guerre, Huit jours après cet aveu plutôt vantard, la main invisible de la Justice a frappé le coupable,

Prix du Numéro : 10 Centimes

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à l'assemblée des représentants des peuples de l'EUVOP

JOURNAL POLITIQUE MEBDOMADAIRE

les Lundis

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Genève, Lundi 4 Novembre 1918.

Suisse... . Gfr. — parano

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Autres pays. Dfr.— »

Une déclaration des Serbes, Croates

et Slovènes en Suisse

Mesdames, Messieurs,

C'est avec la plus grande joie que les organisations yougoslaves (serbes, croates, slavènes) en Suisse prennent part à la manifestation d'aujourd'hui pour la liberté et l'indépendance des peuples opprimés de la monarchie austro-hongroise, Nous avons toujours tâché de mener notre action. non selllement parallèlement avec les grandes actions de nos centres directeurs: la Serbiè libre et les organisations nationales de. Zagreb et de Lioubliana, mais de la cr en même temps en harmonie avec leg tendances: justes de tous Les peuples ue de la monarchie habshourgebise. “Les grands. jours de lulte approchent dela fin, couronnés de succès simultanés sur loutes les lignes. Dans la Monarchie lä lutte pénible de quatre ans s'achève par une concentration de toutes les branches et de toutes les forces de notre race yougoslave en un corps ‘uni et indivisible, C'est celte unité qui nous vaut le nom de nation aïnsi: que les droits el Ja position correspondants dans la grande communaulé internationale qui sera demain la, Sociélé..des, Nations,

Ce triomphe de la conscience nationale mûre est suivi au-dehürs de deux autres triomphes. Le premier est la vicloire des armes de nos alliés et ‘de nos soldats unis, Serbes et Yougoslaves, qui ont chassé déjà l'ennemi du territoire du Piémont yougoslave, de notre Serbie à jamais glorieuse et mérilante, Le second est la victoire de la grande idée de liberté des| nations et de la justice pour Hous, si vaillamment et noblement professés par la démocratie de nos alliés avec le président des Etats: Unis en tête, Ces trois faüts, le triomphe de la conscience nationale, 1e triomphe de nos armes et le triomphe de la grande idée de la justice ‘interna ticnale donnent à cette horrible guerre la seule justification valable et aux peines et sacrifices inouis que nous avons sur bis, la seule satisfaction digne,

Si le triomphe de nos grands buis est déjà évident et proche, la lutte ne cesse pas encore, Mais le chemin est déjà clairement déterminé et tracé, el tous ceux qui

Discours prononcé le 29-octobre, à BERËDE, JE CENTRE

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marchent droit et sincèrement vefs le grand but, ne doivent plus hésiter danis la compréhension de leur devoir, IL faut persévérer jusqu'au baut, comme nous avons (Conmencé, en rangs serrés et unis, solidaires dans le respect de nos droits réciproques et de la grande justice universelle, C'est ce mespect seul qui peut achever et Ab surer notre œuvre, Tout ce que nous .réclamons, nous le réclamons au nom de la justice et tout ce que nous établirons pour nous et aulour de nous, nous l’établirons dans le plein sentiment du droit et de la tolérance, C’est nous qui avons tant souffert des usurpateurs allemands et magyars, qui en savons toute la valeur, et c’est de nous que le monde attend lapplication la plus intégrale de ces grands principes de sagesse et de bonheur des peuples. Au nom de mes amis yougoslaves de toutes les provinces de la monarchie habsbourgeoise, des royaumes libres de Serbié et du Monténégro, futurs ciloyens de l'Etat indépendant des Serbes, Croales et Slavènes, je salue les représentants de l'Etat indépendant des Tchéco-Slovaques, des Italiens bientôt tous unis avec l'Italie libre, des Polonais bientôt tous unis dans la Pologne indépendante et intégrale, des Roumains bientôt tous unis ävec la Roumanie, Que notre petite manifestakion d’aujourd'hui sur le sol libre de la Suisse Soit un stimulant de plus à nos défenseurs victorieux sur les tribunes politiques en Monarchie comme sur tous les fronts de guerre, el qu’elle rende hommage à la noble campagne de la démocratie de l’Entente et de l'Amérique pour le droit ef la justice, $

Je me permettrai de souligner l'importance spéciala que donne à ce meeting de liberté, la présidence d’un des champions les plus méritants pour la justice internationale et l’un des ünterprètes les plus fidèles de la haute pensée wilsonienne. Je finirai en priant M. Herron de se faire également l'interprète de notre solidarité de combat et d'idées, comme de notre reconnaissance à la grande démorcratie américaine et à son illustre chef.

Dr J, GMAINER.

MARC DUFAUX

ÿ * : j Notre éminent collaborateur, le distiiguë directeur de la Revue des Idées, le rédacteur en chef de La Suisse, M. Marc Dufaux, vient de succomber à la grippe. La maladie atroce qui, depuis quelque temps, fait des ravages à Genève, nous enlève ainsi un collaborateur précieux, en pleine activité de sa vie laborieuse.

Marc Dufaux appartenait à cette phalange d’esprits cultivés, amis dévoués de notre patrie et de sa juste cause, que la Serbie, après sa catastrophe, eut la bonne chance de tiouver en Suisse et dont le soutien moral valait à notre pays une armée de cent mille hommes. Dans ces jours de détresse, Marc Dufaux venait nous offrir l’aide de sa plume, la seule qu’il était à même de nous offrir en ce moment-là. Son concours nous fut précieux, car c'était un ami dévoué, discret, loyal et simple.

Bien que très jeune encore, il fit déjà montre de qualités remarquables. D'intelligence supérieure, d'incroyable volonté, de raison et bon sens incomparables, il possédait en outre, au plus haut degré, ce qu'on pouvait appeler «le sens du réel ».

Esprit avisé et perpétuellement lucide, il captivait ses lecteurs, par la finesse de ses observations et la solidité de ses jugements. C'était un excellent chroniqueur, un critique avisé et un « fouilleur d'idées ». Aussi était-il très apprécié dans les milieux intellectuels de Genève. Ce talent de chroniqueur, il le tenait de son père, journaliste de marque, que le public suisse connaît bien, sous le pseudonyme de Pierre Duniton. — Ses lettres d'Angleterre, où il fut envoyé par La Suisse comme Correspondant de guerre, sont pleines de détails cu-

rieux et aperçus psychologiques des plus intéressants sur le pays, ses mœurs et son activité pendant la guerre.

Comme écrivain, Marc Dufaux possédait de hautes qualités qui lui firent une place à part parmi les hommes de lettres modernes, Son style pur, clair et précis, d'un dessein fermé, ne manquait pas d'énergie. Aussi, du jour où il commença à écrire, il obtint un grand succès, ses écrits ayant lrouvé place dans la Revue philosophique de Ribot. Cette revue scientifique, rédigée par des spécialistes, hantait l'esprit du jeune écrivain qui y publia plusieurs de ses travaux, dans lesquels il a traité des problèmes psychologiques.

Ces nombreux travaux ne suffisaient pas à l’activité du jeune Dufaux. Il assuma bientôt la direction de la Revue des Idées, puis peu après il prit aussi la direction de La Suisse, ce qui ne l’empêcha pas de collaborer toujours à La Serbie, à laquelle il resta Adèle jusqu'à sa mort. Il avait à peine 24 ans

On aurait tort de croire que Marc Dufaux était un de ces jeunes doctrinaires d'aujourd'hui qui manquent de foi et d’en-

thousiasme. Bien au contraire. Îl se passionnait pour les ques- :

tions politiques presque autant que pour la science et les let tres. Il avait une âme facile à l'émotion et la provoquait chez les autres. Ce qui séduisait surtout chez lui c'était la droiture de son cœur et de son esprit. © I] partageait son affection entre sa Patrie et la nôtre, qu'il aimait d’une ferveur égale. Le soir même de la prise de Niche, il m'embrassa en me disant: & Cher ami, nous venons de prendre Niche ». C'était le triomphe de la justice qu'il m'annonçait par ses paroles. Il était ce soir-là très ému et comme ivre de joie. Ce fut hélas, notre dernier entretien !

A sa famille inconsolable nous exprimons toutes nos sym-

pathies, M.D. MARINCOVITCH.

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