Le drame serbe : octobre 1915 - mars 1916

LA DERNIÈRE ROUTE DE SERBIE 99

étaient toujours sur la Save. Maintenant ils sont sur la route d’Albanie, Le même chef m'a dit : « J'ai pu réunir quatre jours de vivres. J’ai cent fusils avec moi. Nous tâcherons en dix jours de marche de gagner Monastir en nous glissant entre les révoltés albanais et les comitadjis bulgares. » Deux nuits, à la lueur d’une chandelle, nous sommes restés devant la carte à chercher un sentier praticable.

Sur la dernière route de Serbie, j'ai vu passer la folie. La guerre avait chassé les fous de l’asile comme elle avait chassé les blessés de l'hôpital. Des gardiens les dirigeaient à pied vers des régions non encore envahies. Ils marchaïent en se tenant parla main. L'un d'eux me cria : « Nous seuls avons encore notre raison | Les vrais fous sont tous les autres hommes qui s’entregorgent | »

Sur la dernière route de Serbie, j'ai vu aussi passer le crime. Devant l'invasion, les forcats, chaînes aux pieds, vêtus de laine blanche changeaient de bagne. J'ai rencontré la Faim, le Désespoir.