Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures

CHAPITRE QUATRIÈME. 159

tribut d'hommages auquel elle a tant de droits; elle l'élève, l'ennoblit et transforme souvent en héroïne légendaire une fille obscure des montagnes. Mais le plus souvent, c'est en s’associant dans la guerre, aux travaux, -aux exploits, aux vengeances d’un père ou d’un époux, que celle-ci a conquis ces titres de gloire et préparé une place à son nom dans les rhapsodies populaires. Combien pâle serait le récit romanesque des malheurs de deux amants à côté du chant de la Tsernogorska zenna (la femme monténégrine)! « Un haïdouk se lamente et crie sur la montagne : Pauvre Stanicha, malheur à moi qui t'ai laissé tomber sans vengeance! Du fond de la vallée de Tsouse, la femme de Stanicha entend ces cris et comprend que son mari est mort.

« Aussitôt, un fusil à la main, elle s'élance, l'ardente chrétienne, et gravit les verts sentiers que descendaient les meurtriers de son époux, quinze Turcs, conduits par Tchenghitj-aga. Dès qu'elle aperçoit Tchenghitj-aga, elle le met en joue et l’abat raide mort. Les autres Turcs, effrayés de l'audace de cette femme héroïque, s’enfuient et la laissent couper la tête de leur chef, qu’elle emporte dans son village.

« Alors, Fati, veuve de Tchenghitj, écrit une lettre à la veuve de Stanicha : — « Affreuse chrétienne, tu m'as arraché les deux yeux en tuant mon Tchenghitj-aga; si donc tu es une vraie Tsernogortse, tu viendras demain seule à la frontière, comme moi:j’y viendrai seule, pour que nous mesurions nos forces, et voyions qui de nous deux fut la meilleure épouse. »

« La chrétienne quitte ses habits de femme, revêt le costume et les armes enlevés à Tchenghitj, prend son yatagan, ses deux pistolets et sa brillante carabine,