Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures

CHAPITRE CINQUIÈME. 163

incitation à la jalousie à laquelle le peuple n’est que trop disposé. Qu'il nous suffise de dire que le costume complet d'un Monténégrin, y compris ses armes, peut atteindre le prix de 1,500 francs, représentant, au taux de l'intérêt du pays (17 p. 100), un capital de 5,100 fr.; somme quinze fois équivalente au traitement annuel d’un salarié du gouvernement, si c’est un simple capitaine, et supérieure aux émoluments des grands personnages de l'État.

Comprenant bien les ruineuses conséquences qu'entraînait pour la principauté un luxe ‘en opposition complète avec la pauvreté générale, et ne faisant que mieux ressortir celle-ci, le prince Nicolas tentait, en 1870, de mettre un terme à cet état de choses, en restreignant à certaines catégories de dignitaires, et suivant le grade de ceux-ci, le port des broderies d’or sur les vêtements. De son côté, joignant l'exemple au précepte, il affectait pendant quelque temps de ne porter que des broderies de laine, et de voyager dans l'appareil le moins éclatant. Mais la force de l'habitude ne tarda point à triompher d’une disposition aussi sage que nécessaire, et les choses en sont aujourd’hui au point où elles étaient auparavant. Du reste, la promulgation d’une loi somptuaire, attaquant le désordre que nous signalons ici, ne suffirait point pour y mettre un terme : le Monténégrin aimerait mieux encore accepter cette nouvelle imposition que de faire le sacrifice des satisfactions de sa vanité.

Les détails dans lesquels nous allons entrer ont donc un côté utile, puisqu'ils feront apprécier toute la gravité d’une situation incompatible avec les ressources modiques des individus, et nuisible à la prospérité du pays,