Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures

CHAPITRE SIXIÈME. 187

d'adoption dont l'usage, remontant, selon les traditions, jusqu'aux Scythes eux-mêmes, est encore en pleine viqueur sur certains points de la Dalmatie et en particulier chez les Morlaques. Deux jeunes gens, sans aucun lien de famille, mais réunis par les mêmes goûts et par une inclination mutuelle, cimentaient par une consécration religieuse une amitié qui, dans ses manifestations désintéressées, pouvait atteindre les limites des plus sublimes dévouements. Ces frères par le cœur, sinon par le sang, auxquels était donné le nom de pobratim, devaient en effet se soutenir en toute occasion, accourir à l'appel l'un de l'autre, se suivre dans les combats, y veiller à leur salut réciproque et venger enfin celui des deux qui venait à y succomber. Au jour fixé pour la cérémonie qui devait indissolublement Les unir, les deux pobratim, accompagnés d'un nombreux cortége de parents et d'amis, se rendaient à l'église où, le cierge à la main, ils assistaient à la célébration de la messe. L'office terminé, le pope venait les bénir, puis, après s'être juré aide et protection réciproques jusqu'à la mort, ils s'embrassaient affectueusement. À la sortie du temple, ils recevaient sous le porche les accolades et les félicitations de leur nombreuse compagnie ; puis, au bruit des décharges de la mousqueterie et des cris répétés de ziv10, ils allaient, dans la demeure de l'un d'eux, prendre les places d'honneur à un banquet aussi bruyant que joyeux, interrompu par les danses et les coups de feu; les improvisations des joueurs de guzla chantaient, enfin ces nouvelles fiançailles de l'amitié. Ainsi consacrés par l'Église, les serments des pobratim avaient un caractère sacré; aussi la vindicte publique eût frappé celui des deux qui, faillant aux devoirs de son solennel engage-