Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures

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instant. Tandis que les heures passent ainsi inaperçues, les longues bâches se succèdent dans l’âtre, les botzas de vin ou d’hydromel se vident, la gaieté s'éveille, franche et bruyante. Tout à coup un son ou plutôt un grincement s'élève au milieu des conversations tumultueuses ; regardez : c’est un des assistants qui a saisi une sorte de violon grossier dont il essaye, sous la pression d’un petit archet, à mettre l'unique corde au diapason de sa voix: écoutez : c'est la guzla.

Une demi-sphère de bois creusée et recouverte d'une peau de bouc, un long manche terminé par une grosse cheville sur laquelle s'enroule une corde composée ellemême d’une cinquantaine de crins; un chevalet trèsélevé ne permettant pas à la corde de venir sous la pression du doigt au contact de la touche, de telle sorte que le joueur ne fait qu’effleurer les crins au lieu de comprimer la corde contre le manche de l'instrument, ainsi que le fait le violoniste; enfin, un petit archet à baguette demi-circulaire : tels sont les éléments de ce nouveau rebec, plus primitif encore que celui du moyen âge, et au son duquel les rapsodes de la Serbie chantent depuis des siècles les gloires et les malheurs de la patrie.

Ce n’est point au milieu des luttes incessantes qui remplissent son histoire, que la famille monténégrine pouvait songer à la culture des beaux-arts non plus qu'à celle de la littérature; aussi tous ses actes héroïques eussent été lettre morte pour l'avenir, si les chanteurs populaires ne les avaient enregistrés dans leurs vers, pour les redire aux veillées et les proposer à l'admiration aussi bien qu'à l'émulation des jeunes guerriers. Embellis, poétisés par le barde rustique, les exploits des héros serbes et des chefs monténégrins, redits ainsi d'âge en