Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures

CHAPITRE SIXIÈME. 193

Le repas du soir est à peine terminé qu'un grand feu s'allume dans l’âtre; les visiteurs, portant chacun leur long tchibouk, arrivent, sans qu'il ait été beggin d’invitation préalable et, après la longue série des Saluts et des compliments, prennent place autour du foyer, sur le banc de pierre ou sur le modeste stolitza. Par moment les flammes atteignent presque les solives de la toiture ; leur fantastique lueur se projette sur le cercle des guerriers, éclairant de mâles et souvent sauvages figures, et faisant étinceler les armes.

Tout alentour circulent les femmes, préparant le café, offrant l'eau fraîche ou apportant le vin dans les grandes botzas où chacun boit tour à tour.

Si quelque ami est arrivé des nahie éloignées, il est surtout le bienvenu, car les nouvelles dont il est toujours le messager vont défrayer la soirée et satisfaire la curiosité toujours en éveil. C’est que l'étranger, pour ces populations privées des ressources de nos incessantes communications, remplace à la fois le journal, la lettre et le ‘ télégraphe; aussi sa venue est saluée avec tout l'intérêt que nous accordons à ce triple agent de nos relations. Les événements de la journée provoqueront souvent aussi à eux seuls de longs commentaires où l'observation, la critique, la finesse et le dédain viendront chacun à leur moment trahir les ressources infinies de l'esprit monténégrin. Après les choses du présent ne manqueront point de revenir les récits du passé.

Qu'un conteur intéressant se trouve dans la compagnie, il n’a pas besoin de réclamer le silence; tout se tait autour de lui; seul maître de la parole, il la gardera à loisir, sans que l'attention et l'intérêt faiblissent un seul