Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures

CHAPITRE SIXIÈME. 199

Bogidar aura ton handjar, moi je garderai tes pistolets. Tu as été un brave; nous ferons comme toi. »

Puis, en même temps que s’avançait la nuit, le vieillard, dont la tête éclairée par la lueur pâle des cierges reposait sur les genoux de son fils aîné, accroupi suivant l'usage à la tête de son lit, retomba dans son agonie et passa bientôt et sans secousse de la vie au trépas.

Et devant cette scène si émouvante dans sa simplicité, où la réalité jetait un défi à l'invention et à la poésie, tandis que la voix des femmes commençait les lugubres lamentations, il nous semblait qu’un écho lointain apporfait jusqu'à nous le prélude imposant de ce chant des vieux Pallikares :

Le soleil disparaissait et Dimos donnait ses derniers ordres : « Vous, mes enfants, allez chercher de l'eau pour votre repas du soir; toi, mon neveu, assieds-toi là, près de moi; prends mes armes, et sois capitaine; et vous, mes enfants, prenez mon sabre délaissé, coupez de verts feuillages, jonchez-en la terre pour que je re pose. Amenez-moi le père spirituel, afin qu’il me confesse, et que je lui dise tous les péchés que j'ai faits. Je fus trente ans Armatole et vingt ans Klephte; maintenant la mort est venue et je veux mourir; faites mon tombeau, faites-le-moi large et haut, pour que j'y puisse combattre debout ; laissez à droite une fenêtre pour que les hirondelles viennent m'annoncer le retour du printemps, et les rossignols me chanter le beau mois de mal. »