Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures

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d'en tirer vengeance, et ils ne se contenteront pas de rendre insulte pour insulte, car un faux point d'honneur veut que la réparation surpasse le dommage. De là ces haïines perpétuées dans les familles, où chacun cherche à coopérer à la ruine de l'ennemi, soit en brûlant sa maison, soit en coupant ses moissons et ses arbres fruitiers,

‘ en nuisant à ses troupeaux, à sa santé, soit enfin en attentant à sa vie ou à celle de ses proches. Un de ses parents a-f-il été assassiné, le Monténégrin trempe la chemise de la victime dans le sang répandu, l'emporte à la maison et l'y suspend à une poutre, jusqu'à ce que la vengeance ait élé accomplie. À la mère elle-même le devoir sacré de faire sucer avec son lait cette haine, de réclamer avec ses caresses un serment de représailles, de raconter l’histoire du meurtre, d’exciter les esprits, de décrire les spasmes suprêmes de la victime, de nourrir dans l'âme de ses enfants le sentiment de l'expiation dont ils sont chargés. à

C'est que, dans la croyance générale, l'âme des parents assassinés crie vengeance contre les meurtriers et se plaint du peu de sollicitude que l'on à pour hâter l'heure de la vengeance. Le soin de celle-ci passera du reste du père aux fils, des fils‘aux neveux et aux descendants à tous les degrés, sans que le temps parvienne à arrêter l’accomplissement de cette œuvre de sang.

Et pourtant, au milieu de ces complots acharnés, la vénalité sait encore trouver un moyen terme de pacilication, en introduisant la possibilité d'un accord basé sur la valeur du sang répandu : c’est le prix du sang (platilè E’rvarinu). La famille du meurtrier demande à celle de la victime une trêve de quelques semaines, et ayant obtenu son serment (viro), organise une ambassade solennelle.