Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures
CHAPITRE DIX-SEPTIÈME. 481
le monde était debout, prêt à se rendre où le danger était signalé. Complétement cachés parmi les rochers ou retirés dans des cavernes qu'eux seuls connaissaient, ils laissaient quelquefois l'ennemi passer librement à portée de pistolet, puis s’élançaient sur les arrière-gardes ou sur les convois cheminant péniblement à la suite des colonnes. Attentifs à ne pas brûler inutilement une cartouche, ils ne tiraient qu'à coup sûr, et rarement le but visé n'était pas atteint. Cramponnés aux aspérités des rochers sur lesquels on les voyait en équilibre dans les positions les plus périlleuses, ils suivaient la marche de leurs ennemis; ou, le corps étendu au ras du sol, ils épiaient, comme le chat aux aguets, le moment le plus favorable, soit pour envoyer une balle, soit pour fondre, le yatagan à la main, sur quelque retardataire. Les femmes elles-mêmes prirent part, ainsi que nous l'avons raconté, à quelques affaires, et devant Gorajda on releva le cadavre d’une jeune et jolie Boccésienne ayant un handjar à la ceinture. Elles criaient aux combattants de ne pas faiblir, de marcher en avant; puis elles apportaient les munitions et remportaient les morts et les blessés. Dans le défilé de Han, on les vit s'emparer des fusils de leurs maris hors de combat et tirer intrépidement sur les Autrichiens. L'une d'elles, grande et maigre, se tenait sur un rocher élevé de cinq cents pieds, brandissant son fusil, dans une attitude de provocation, et défiant les chasseurs qui ne parvenaient point à l'atteindre.
Toutes les qualités physiques et morales que nous avons étudiées chez les Monténégrins, nous les retrouvons enfin chez les Boccésiens. Leur vue perçante, leur ouïie d’une délicatesse extrême, leur noble prestance, tout chez eux donnait une haute idée d’un pareil en-