Le pacte de famine, histoire, légende : histoire du blé en France

PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I 15

à l'alimentation du peuple. On n’a pas, jusqu'ici, assez insisté sur ce point.

La législation sur ce commerce des grains est celle que le peuple comprend le moins. En effet, si elle lui est favorable, il ne songe pas à lui attribuer le bienfait des bas prix dont il profite, tandis qu’au contraire, quand ces prix s'élèvent, il est porté à attribuer à la spéculation le renchérissement dont il souffre. Faut-il, du reste, rendre le gouvernement seul responsable des mesures bonnes ou mauvaises qui furent prises à différentes époques ? Il ne fit souvent qu'obéir à l'opinion publique : « Les lois concernant les grains, dit Duhamel Dumonceaux, peuvent être comparées aux lois qui concernent la relision. Les peuples se sentent tellement intéressés dans ce qui a rapport à leur subsistance dans ce monde et à leur bonheur dans l’autre, que, pour le maintien de la tranquillité publique, le souvernement est oblige de se conformer à leurs préjugés et d’établir le système qu'ils approuvent ; c'est par cette raison, peut-être, qu'il est si rare de trouver un système raisonnable établi sur l’un et sur l’autre de ces objets. »

De tout temps ceux qui se sont occupés du commerce des blés ont été les victimes de la haine souvent injuste des populations. Les consommateurs leur reprochent la cherté du pain et les producteurs son bon marché. Le but du gouvernement était donc de maintenir un prix moyen, rémunérateur pour le producteur et abordable pour l'acheteur ; de s'éloigner des extrêmes qui auraient ruiné le laboureur ou provoqué la disette ‘, Si le blé, en effet, n’atteignait pas un certain prix, le nombre des jachères augmentait l’année suivante, et, par suite, l'avenir se montrait de plus en plus menaçant.

Le gouvernement, tributaire des producteurs et des consommateurs, a évidemment intérêt à se désintéresser dans la question, et il a raison de le faire dans les conditions actuelles; mais autrefois il n’en était pas ainsi. Il se trouvait placé dans cette alternative : d'accumuler sur ses représentants la haine de ceux qui souffraient et qui lui reprochaient son ingérence, ou les colères de ceux qui

1. « Au XIe siècle, au XII0, au XIIIe, » le prix du blé était, en temps de famine, « de 15 et même 920 fois le prix ordinaire. Au XVIe siècle, il était encore de 10 fois le prix et atteignit longtemps ces cours désastreux. » Nous ne savons où M. Modeste a pris ces renseignements (op. cit., p. 6) que nous n'avons pas pu contrôler et que nous croyons fort exagérés. Dans tous les cas, au XVIIIe siècle, les prix étaient loin atteindre de pareils écarts.