Le pacte de famine, histoire, légende : histoire du blé en France
PIÈCES JUSTIFICATIVES. — DEUXIÈME PARTIE 43
l'air libre, pendant quelques instants de promenade sur une terrasse, il se désoloit de la durée de sa captivité, il s’irritoit de son injustice ; alors il soupiroit vivement après la liberté, il croyoit son évasion possible, ilen méditoit les moyens, il s’efforçoit de les mettre en œuvre et sur-le-champ le geolier punissoit comme une révolte cet élan de la nature : il le précipitoit dans un souterrein, il le chargeoït de fers, il le laissoit trois jours sans vivres * ; il ne lui fournissoit, comme il le dit lui-même, que ce qu'il falloit précisément pour ne pas mourir de faim, et le compte qu'il rendoit à la police ou au ministre étoit agréable au lieutenant et au ministre ?, ils répondoient au geôlier qu'il avoit bien fait et qu'ils approuvoient toute sa conduite 3.
C'est une chose horrible et curieuse tout à la fois que la correspondance des geôliers, du prisonnier et des divers lieutenans qui se succédèrent.
Lorsque, après plusieurs instances, on lui accordoit des plumes et du papier, c'étoient les mémoires au roi qu'il écrivoit “ ; c'étoient des plaintes au ministre et des reproches au lieutenant général. Tout cela étoit ensuite fidèlement remis, par le geôlier, à la police, qui revisoit, qui blâmoit, qui interceptoit, qui supprimoit tout ce qui pouvoit contrarier ses vues, tout ce qui tenoit au commerce des bleds et à la dénonciation que Le Prévôt vouloit toujours en faire. La police mettoit, par apostilles, qu'il ne falloit point laisser passer ces écrits coupables ; qu’il falloit les garder avec soin 5. Sur les plaintes, les placets ou les avis au ministre, on lit ces notes, toujours écrites par la police 6, que ces pièces sont injurieuses au gouvernement, et que leur auteur est un fou d’une espèce bien dangereuse 7. Après cela venoient la défense de le laisser écrire et la soustraction des plumes et du papier.
1. « La suppression de nourriture n’a pas tardé de produire l'effet que j'en aftendois.. Voyant, que quelques efforts qu'il continuât de faire, il ne parviendroit jamais à se procurer son évasion, ni à se faire entendre du dehors, ni à faire sortir de sa chambre aucun écrit par les précautions que j'avois prises, il s'est vu enfin obligé de revenir à l'obéissance. » (Lettre de M. de Rougemont à M. de Sartines, du 20 octobre 1772.) 5
2. « Je ne puis, Monsieur, qu'approuver le parti que vous avez pris à l'égard du sieur Le Prèvost... Peut-être, cependant, la sévérité dont vous avez été obligé d'user, le retiendra à l'avenir. » (Lettre du duc de la Vrillière, du 4er novembre 1770.) — « Le sieur Le Prévost vient de se mettre dans le cas, par ses nouvelles écritures, de ne plus espérer d'adoucissement et de communication avec personne ; vous voudrez bien le laisser où il est et le traiter comme ci-devant. » (Le Lieutenant de Police à M. de Rougemont, le 2 juillet 1770.)
3. «Je lui ai fait supprimer, ainsi que vous l'avez jugé à propos, sa nourriture... Et je ne lui ai fait donner que ce qu'il lui falloit de pain par jour, pour ne pas mourir de faim... Je me propose, si vous le jugez à propos, de le mettre au cachot, pour le puuir de tous ses écarts. » (Lettre de M. de Rougemont, du 16 octobre 4772.) La note de la Police sur cette lettre, est : Répondre et approuver sa conduite !!!
4, Lettre au roi, du 14 octobre 1772. — Autre lettre antèrieure, du 20 juillet 1770. Cette lettre : dénonçoit au roi le fameux traité sur les bleds La police avoit mis en note : Garder avec soin.
3. Sur une lettre du sieur Leprévôt au ministre, du 20 juillet 1770, de laquelle il rappelle sa dénonciation, on lit cette note de la Police :« Garder avec soin : c'est une espèce de fou bien méchant. » Pareille note se trouve sur les lettres du 17 novembre et 27 du même mois, 1772.
6. Note dela police sur un écrit du sieur Leprévot, en date du 28 août 1779 : « Lettre injurieuse et calomniatrice du sieur Leprévôt. À montrer au ministre. »—Autre du 1er février 1769 : « Ecrire au major et réprimander ce prisonnier sur les expressions de ses lettres, »
7. « Ne faudroit-il pas transférer cet homme à Vincennes puisqu'il paraïîtroit dangereux de le