Le pacte de famine, histoire, légende : histoire du blé en France

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étrangers achetés « pour le compte » de Sa Majesté. Après tous ces efforts, tous ces sacrifices, ne doit-on pas conclure comme Necker : « Quand les hommes ont fait tout ce qui est en leur pouvoir, il ne reste plus qu'à se soumettre avec patience aux lois de la nécessité et aux décrets de la Providence. »

La correspondance inédite de Bertier va encore nous montrer ce que l'État faisait dans ces circonstances, l’activité et le dévouement que ses agents savaient déployer pour atténuer autant que possible les conséquences funestes de la disette. Pendant ce rigoureux hiver, Bertier se transporta chez la plupart des fermiers et laboureurs de la généralité ; il les questionna sur la quantité de grains qu'ils pouvaient avoir en réserve, en leur demandant combien ils pensaient en consommer jusqu’à la récolte ; d’après leurs aveux, il leur proposa de porter aux marchés qu’il leur indiquerait l'excédent de leur consommation ; ils acceptèrent cette proposition et s’engagèrent à la remplir par une soumission. Alors, Bertier, de retour à Paris, ayant avis que la disette de cette denrée se faisait sentir dans différents marchés, donna des ordres pour qu'ils fussent réapprovisionnés, mais les laboureurs et blattiers voulant profiter de la circonstance vendirent leurs grains excessivement cher.Lorsque Bertier en futinformeé, ilrésolut aussitôt d'y mettre un terme ; en effet, dès que les grains que le gouvernement avait fait acheter à l'étranger furent arrivés, il en fit passer dans ces mêmes marchés et Les fit vendre à un prix au-dessous du cours,afin d’obliger les laboureurs et blattiers de baisser le leur. Ces derniers, obligés de les donner au même prix ou de lesremporter chez eux, jurèrent contre les vendeurs desgrains du gouvernement, lorsqu'ils virent que c'étaient les subdélègués qui en opéraient les rentrées en argent: ; ils inventèrent les plus noires calomnies contre Bertier, qu'ils regardèrent dès ce moment comme le plus grand accapareur !

Cette intervention, ces secours du gouvernement étaient demandés de toutes parts par les membres du bureau intermédiaire, par les municipalités, par les particuliers?. À défaut de blé, le gou-

1 Les subdélégués faisaient passer les fonds provenant de la vente des grains, à Joly, caissier autorisé par le gouvernement, qui les versait ensuite au trésor royal. (Note manuscrite de Bertier.)

2 Lettre du comte de Lancroy, membre du bureau intermédiaire de l’Assemblée de département de Montereau, à M. le duc du Châtelet, du 23 novembre 1788,