Les filles de Louis XV : d'après des documens inédits et de nouvelles publications
LES FILLES DE LOUIS xY. 757
la main sur son sceptre, s’il meurt sans laisser un successeur qui soit un homme,
Certes en cette année 1739, qui s’ouvre pour la France dans les splendeurs d'un mariage quasi royal, on voyait déjà venir de sombres nuées sans trop songer à l'orage. Le roi n’était encore ni le bienaimé, ni le bien-haï : ses peuples ne le connaissaient guère, Le roi chassait, s’occupait fort de ses chiens, avait de petites maisons où il faisait des excès de table et ne se mêlait de rien dans le gouvernement : voilà tout ce qu'on en savait. Le scandale commencait à peine dans la famille royale avec le règne des quatre sœurs. Depuis un an seulement, Louis XV avait pour toujours délaissé Marie Leczinska. On lui avait amené une bonne personne, vive, rieuse, enjouée, point du tout ambitieuse, quoique fort pauvre, une folle tête d’amoureuse qui l’adora bourgeoisement, lui donna tout ce qu’elle avait d'âme, de tendresse, de larmes aussi, et pensa mourir de douleur quand elle fut renvoyée. Cette douce créature, M“: de Mailly, était alors maîtresse en titre; l’adultère était public. Plus scrupuleux, plus véritablement chrétien que le grand roi son aïeul, Louis XV refusa d'écouter les pères jésuites qui, forts de l'exemple de Louis XIV, s’elforçaient de le persuader qu’il pouvait et devait toujours s'approcher des sacremens : le roi déclara qu'il ne ferait pas ses pâques. fs
La petite infante quitta Louis XV au Plessis-Piquet. La sensibilité exaltée du dauphin et de ses sœurs se montra pour la première fois dans cet adieu. La tristesse du roi était profonde. Jamais cœur de père ne fut plus tendre. Je ne crois pas que l’espèce de froideur, de contrainte, de malaise qui régna plus tard entre le roi et le dauphin ait nui à l'affection que le père ressentait pour le fils. Une plus pénétrante analyse des deux caractères ferait voir qu'ils ne furent peut-être jamais plus unis que lorsqu'ils parurent le plus éloignés l’un de l’autre. Ces caractères doux et timides, caressans et irrésolus, ont d’étranges délicatesses, des pudeurs exagérées, de fausses hontes indéfinissables, qui ressemblent à de la dissimulation, à de la lâcheté; ils rougiraient d’avouer qu'ils aiment, de se livrer, de tout dire; ils n’osent lever les yeux sur l'être qu'ils chérissent le plus au monde, ils fuient son regard, ils évitent de lui parler d'une manière trop directe, de lui donner tout haut le nom qu'ils se répètent au fond du cœur avec délices. Un temps viendra où le dauphin, chef du parti dévot à la cour, adversaire irréconciliable des maîtresses, austère et muet censeur des mœurs paternelles, n'abordera le roi que comme un courtisan, et pendant vingt ans, lorsqu'il lui parlera, tournera ses phrases de manière à ne jamais dire ni « sire, » ni « mon père. » Le roi était bien plus libre avec ses filles : la première enfance passée, celles-ci se trouvèrent tou-