Les philosophes et la séparation de l'église et de l'état en France à la fin du XVIIIe siécle

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réussir, échoua pour des raisons diverses. Les révolutionnaires S'obstinent deux ans à la faire vivre et triompher. Ils refusent aux dissidents restés fidèles à Rome cette liberté et cette égalité des cultes qu ’ils n'avaient pas inscrite dans leur déclaration des droits. Ils n’y avaient inscrit que la tolérance. Ils sont obligés cependant de se rendre à l'évidence et à la nécessité. Il leur est impossible d'imposer à toute la France leur catholicisme épuré. Leur déception se change en colère quand ils s’aperçoivent que les prêtres jureurs eux-mêmes, que les prêtres de la loi se montrent indociles à leurs directions. Ils décrètent alors la ruine de leur propre création. Ils enlèvent tout caractère officiel au clergé constitutionnel et le réduisent à son tour à se contenter de la tolérance. Ils cessent de le payer le 2° jour sans-culottide an II (18 septembre 1794). Il semble qu'on puisse dater de ce jour-là le régime de la séparation de l'Église et der État. Sans doute, l'État fut ce jour-là séparé de l’ancienne Église, mais la séparation ainsi accomplie ne fut qu'une séparation incomplète et boiteuse.

En abatiant le catholicisme, les révolutionnaires n’ont pas renoncé à leur rêve d'unité morale et religieuse. Leur mentalité n'est pas devenue /aïque. Au moment même où ils sécularisaient l'état civil, sous la pression de nécessités pratiques inéluctables, ils commençaient à organiser et à rendre officiel le culte de la patrie, éclos spontanément dans l'enthousiasme des fédérations. Ce culte de la patrie grandit du même pas que déclinait le culte

* catholique constitutionnel. Quand celui-ci perdit son caractère de religion nationale, celui-là était adulte et apte à le remplacer. . Le culte de la patrie durera autant que la séparation elle-même, à laquelle il est intimement lié, jusqu'au Concordat. Quels que soïent les noms divers qu'on lui donne, culte de la Raison, culte de l'Étre suprême, culte décadaire, il resta durant tout ce temps identique à lui-même, il fut essentiellement l'État culte et religion.

La politique religieuse de la Révolution française présente ainsi un double aspect, un aspect négatif, quand on la considère dans la guerre qu'elle fit aux anciennes églises, un aspect positif, quand on l’examine dans ses nouvelles constructions cultuelles. Ces deux aspects sont aussi ceux de la philosophie du xym siècle.

Faute d’avoir compris cette philosophie, les historiens étrangers à l'esprit historique, — le nombre en est plus grand qu'on ne pense, — »’ont rien compris à l’histoire religieuse de la Révolution