Les philosophes et la séparation de l'église et de l'état en France à la fin du XVIIIe siécle

LES PHILOSOPHES ET LA SÉPARATION DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT. 5

pas son incrédulité au delà d’une certaine classe sociale. Il la réserve pour la noblesse et le clergé, pour la haute bourgeoisie, comme un luxe, comme un privilège d'esprit, comme le complément d’une éducation distinguée.

Plus encore que Montesquieu, il croit à la nécessité d'une religion pour le peuple et pour les enfants. Il fait bâtir une église dans ses terres de Ferney et grave au fronton cette inscription où il traite Dieu d’égal à égal : Deo erexit Voliaire. Il suit régulièrement les offices, fait dévotement ses pâques, afin d’édifier ses manants. Le catholicisme qu'il raille au dessert lui paraît une excellente religion de coffre-fort qu’il serait désolé de voir péricliter dans le respect des masses.

Lui aussi, il ne réclame que la tolérance pour les cultes dissidents. Il entend conserver au catholicisme son caractère de religion privilégiée : « Je ne dis pas que tous ceux qui ne sont point de la religion du prince doivent partager les pi et les honneurs de ceux qui sont de la religion dominante*.

Voici comment il conçoit les rapports qui pu exister normalement entre l'État et l'Église :

Nous avons institué des prêtres afin qu'ils fussent uniquement ce qu'ils doivent être, des précepteurs de morale pour nos enfants. Ces précepteurs doivent être payés et considérés, mais ils ne doivent prétendre ni juridiction, ni inspection, ni honneurs; ils ne doivent en aucun cas s'égaler à la magistrature. Une assemblée ecclésiastique, qui présumerait de faire mettre à genoux un citoyen devant elle, jouerait le rôle d’un pédant qui corrige des enfants ou d’un tyran qui punit des esclaves. — C'est insulter la raison et les lois de prononcer ces mots : Gouvernement civil et ecclésiastique. Il faut dire : Gouvernement civil et règlements ecclésiastiques, et aucun de ces règlements ne doit être fait que par la puissance civile?.

En un mot, l'Église doit être l'humble servante de l'État. « Il ne doit pas y avoir deux puissances dans un État, » dit-il encore, « on abuse de la distinction entre puissance spirituelle et

1. Cette citation el les suivantes sont empruntées à l'excellente anthologie de MM. Albert Bayet et François Alberl, Les écrivains politiques du XVIII: siècle. Paris, A. Colin, 1904. Traité sur la tolérance, p. 79 de l'anthologie citée.

?. Les écrivains politiques du XVIII siècle, p. 117 (extr. des Jdées républicaines ).