Les serviteurs de la démocratie

14 LES SERVITEURS DE LA DÉMOCRATIE

au seizième siècle, de n'être l'homme d'aucun parti pris intellectuel. Il à flétri le meurtre des protestants sans excuser Calvin qui faisait brüler Servet. Tous les intolérants ont compté Rabelais pour adversaire. Il était le défenseur de la foi profonde, celle qui permet d’avoir ensemble la science et la conscience.

L'auteur du Pantagruel soutint pendant toute sa vie la cause du progrès par la paix et le travail. Il a tourné en ridicule les aventuriers politiques et l’esprit d’'aventure. Quel personnage que ce Picrochole toujours en quête d'expéditions lointaines, toujours désireux de conquêtes nouvelles. Rabelais s’en moque à cœur joie et lui oppose Grandgousier pacifique, loyal, ennemi des turbulences et des prouesses militaires qu’il appelle briganderies. Grandgousier est bien l’homme d'État selon le cœur de Rabelais, j'allais dire selon l'esprit des Tourangeaux; il a comme eux en partage la débonnaireté et à l’occasion la vaillance. Ceci n'exclut pas cela. Au contraire, la féconde et « doulce » Touraine a donné à la France quelques-uns de ses soldats les plus intrépides. D’après un critique spirituel et savant, M. Alfred Mayrargues qui a fait la meilleure étude que nous possédions sur Rabelais, « Grandgousier c’est l'incarnation méme de la Touraine ». Le docte écrivain, dans son beau travail sur le seizième siècle, développe cefte opinion avec beaucoup de bon sens, de finesse et de verve. M. Alfred Mayrargues a raison, personne n’a mieux analysé et compris le génie de Rabelais.

Est-ce à dire que Grandgousier soit sans défaut? Non, ce géant (car c’est un géant) pourrait s'appliquer les paroles de la chanson : — Il aime à rire, il aime à boire ! 11 est même permis de trouver que sa gaieté est quelquefois infempérante et énorme pour ne pas dire grossière.