Les serviteurs de la démocratie

DIDEROT 37

que j'aurais un morceau de pain je le partagerais avec ceux qui souffrent. Ce serment fut scrupuleusement tenu. Un trait bien curieux montrera jusqu'où allait la bonté d'âme de Diderot. Un matin, un individu d'assez mauvaise mine se présenta chez lui, tenant à la main quelques feuilles de papier : « Prenez et lisez, dit-il au philosophe ». Diderot prend et lit un ignoble libelle contre sa personne. Ses mœurs étaient outragées, sa personne vilipendée, son talent tourné en ridicule. __ «Cest abominable ce que vous avez fait là, s’écrie Diderot, mais pourquoi m’apportez-vous cette ignominie? — J'ai pensé, monsieur, répliqua le corsaire de lettres, qu’il vous serait agréable d'empêcher la publicité de ce libelle. Si donc, pour un peu d'argent? Diderot comprit enfin et se mit à rire. — Vous faites là un vilain métier, dit-il, et vous le faites mal. Je suis très pauvre, et je ne pourrais pas Vous payer cette turpitude ce qu’elle vaut. Mes ennemis seront plus généreux que moi. Voici l'adresse du plus riche. » Et Diderot lui donna le nom d’un gros financier, bien connu alors. Le corsaire de lettres confus, penaud, allait se retirer, quand, se ravisant fout à Coup, il ajouta : « Monsieur Diderot, votre ennemi, que je connais, exigera que je mette au libelle une dédicace, et j'avoue que je suis un peu embarrassé pour la rédiger. — Qu'à cela ne tienne, répondit le philosophe; attendez un moment. » Et il rédigea la dédicace. Qu’aurait fait de plus un chrétien, eût-il été moine ou même évêque ?

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Diderot, léger d'argent, mais riche d'idées, donnait sans compter à tous ses amis des conseils et des ins-