Lettre inédite d'Étienne Dumont sur quelques séances du tiers état : mai 1789

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lasse des répétitions, des formules exordiales, des conclusions qui ne concluent point; il s'élève un eri général pour aller aux voix sans achever l'appel : rien de plus contraire à la liberté. Le Doyen ou plutôt son stentor crient à l'ordre ; le rôle continue. Volney, l’auteur des lettres estimées sur l'Égypte, commence par se plaindre du despotisme de l'Assemblée. « Je me réserve, dit-il, à une autre occasion, de faire sentir « toute l'injustice de ce procédé ; on a écouté, on a laissé parler longue« ment ceux qui opinérent hier, et nous, on nous presse indécemment, « on nous oblige à nous réduire à deux mots et nous ne pouvons percer le € tumulte. » Volney est un de ceux qui parlent bien ; il a de l'énergie, des principes, de la chaleur, mais il a de l'humeur, de l’emportement et il fit, ily a deux jours, une gaucherie qui lui a fait du tort. Mounier n'a pas répondu en général à l’idée que sa conduite dans le Dauphiné avait fait concevoir de ses talents; il n’est pas remarquable comme orateur, il parle avec embarras et plutôt mal que bien, mais il a de l'énergie dans le caractère et de la suite dans l'esprit : c’est un des citoyens sur lesquels ils peuvent compter. Un jeune avocat du Dauphiné, Barnave, annonce un très-grand talent de la parole; il discute, il est clair, il est abondant, il a de la chaleur, mais malheureusement l'organe ingrat. — Il y à un grand tumulte pour aller aux voix sans achever l'appel; — cependant l'ordre prévaut et on le continue. — Quelques-uns des plus ennuyeux bravent toutes les marques de défaveur ; un Languedocien intrépide, interrompu par des espèces de huées, reprend la parole précisément au mot où il avait été interrompu : l'impatience française perd beaucoup de temps en voulant en gagner. Les membres de l'assemblée ne se connaissent point encore; tous s'essayent, tous veulent se faire connaître, aucun n’a la conscience de son infériorité etil n'y a point encore de pavillon assez affermi pour servir de ralliement. Le comte Mirabeau, député d'Aix, était un des derniers à parler ; au moment où il s’est levé, ila joui d’une attention d'autant plus flatteuse qu'on la croyait épuisée par la longueur et l'ennui de la séance. Il a parlé peu et supérieurement bien ; sa motion était pleine de force el d'adresse : je vous l'enverrai, de même que son discours ; on les a copiés, mais je ne les ai pas sous la main.

Cette lettre commencée à Versailles se trouve, par accident, achevée à Paris où je suis venu prendre de l'argent, ayant résolu de passer encore quinze jours à Versailles pour y voir le dénouement de cette grande question qui agite toutes les têtes. L'effet du discours de Mirabeau fut étonnant ; les galeries en ont été saisies, les Communes l'admirérent et personne après lui n'osa réclamer la parole, en sorte que l'appel finit de