Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

58 LORD CASTLEREAGH ET LA SECONDE RESTAURATION.

d'Amérique qu’au moyen d'esclaves incessamment recrutés sur les rivages africains, devaient être moins faciles à convaincre : malgré les immenses services que l'Angleterre leur avait rendus, ce ne fut qu'avec beaucoup de temps, à force d’insistance, et en leur assurant des dédommagemens pécuniaires, qu’elle obtint de ces deux pays des engagemens qui, il y a bien peu d’années encore, étaient ouvertement violés au Brésil, et surtout dans l’île de Cuba.

Quant à la France, le traité de Paris lui avait imposé l'obligation de supprimer la traite dans cinq années au plus tard, et «d’unir ses efforts, dans le futur congrès, à ceux de sa majesté britannique, pour faire prononcer par toutes les puissances de la chrétienté l'abolition d’un genre de commerce que repoussent les principes de la justice naturelle et les lumières du temps. » Telles étaient les expressions du traité; mais une semblable stipulation, qui laissait encore un répit à ce fléau de l'humanité, ne suffisait pas aux abolitionistes. Le cabinet de Londres, sous la pression du sentiment public, chargea donc le duc de Wellington de travailler à obtenir la cessation immédiate de latraite. La chose n’était rien moins qu'aisée; la correspondance de l'ambassadeur avec Wilberforce, qui lui écrivait souvent pour stimuler son zèle, explique très bien quel était alors en France l'état de l'opinion sur le point dont il s’agit.

« Il n’y a dans ce pays, disait-il, que très peu de personnes qui aient porté leur attention sur la traite des esclaves, et ces personnes sont des colons ou des spéculateurs en fait de traite, qui ont tout intérêt à la maintenir. Je suis fâché d’être obligé de dire que la première de ces deux classes d'hommes est très puissamment représentée dans la chambre des pairs, et c’est une chose vraiment incroyable que l'influence exercée par les propriétaires de SaintDomingue sur toutes les mesures que prend le gouvernement. On veut assez sottement établir une liaison entre la proposition d’abolir la traite et certains souvenirs des jours révolutionnaires de 1789 et 1790, et cette proposition est généralement impopulaire. On ne croit pas que nous S0yOns de bonne foi à ce sujet, et que nous nous soyons décidés à supprimer ce trafic à raison de son inhumanité. On pense que ce n’a été de notre part qu’une spéculation commerciale. Il est impossible d'obtenir l'insertion dans un journal français, quel qu’il soit, d’un article favorable à l'abolition, ou simplement qui ait pour objet de faire voir qu’en la décrétant, Angleterre a été déterminée par des motifs d'humanité. On ne saurait donner une idée des préjugés de toute espèce qui règnent ici sur cette question, et surtout parmi les principaux employés des administrations publiques, qui sont nos adversaires les plus prononcés. Le désir de s'assurer le gain qu’on attend de ce commerce n’est surpassé que par celui de dénaturer nos vues et nos mesures, et de déprécier le mérite que nous avons eu en décrétant Vabolition. Le directeur de la marine me disait gravement qu'un des buts que nous avions en vue était de nous procurer des recrues pour notre guerre d'Amérique, et il m’a donné à