Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

LORD CASTLEREAGH ET LA SECONDE RESTAURATION. 59

ntendre qu'entre un esclave destiné pour toute sa vie aux travaux agricoles et un soldat engagé pour sa vie, la différence ne valait pas la peine qu'on s'en occupâi. »

« Vous verrez par les journaux, écrivait encore le duc de Wellington, à quel point cette affaire agite l'opinion. M. Laïné, président de la chambre des députés, dans un discours qu’il a prononcé sur une proposition du général Desfourneaux, s’est attaché à donner au sentiment public une direction violente, et à accréditer les préjugés existant contre l'Angleterre. Le roi m'a dit qu’il serait heureux de pouvoir faire quelque chose d’agréable au prince régent et à la nation britannique, et que, sans nul doute, iltiendrait ses engagemens, mais qu’il était obligé de tenir compte des opinions de son propre peuple, opinions qui, sur ce point, n’étaient nullement celles de Angleterre. »

De tout cela, le duc de Wellington, qui ne mettait pas en doute la bonne volonté du roi et de ses ministres, mais qui reconnaissait la difficulté de leur position, concluait, avec son bon sens ordinaire, qu’au lieu de porter dans cette négociation une vivacité, une insistance qui ne pourraient qu'irriter en France des esprits prévenus, il fallait s’efforcer de les éclairer et de les gagner peu à peu.

Telle était cependant l’impatience des ministres anglais, stimulés par la crainte de perdre la majorité dans le parlement, qu’ils se décidèrent à une proposition bien singulière pour essayer de vaincre cette résistance. Un propos, tenu assez légèrement par M. de Talleyrand dans une conversation particulière, avait paru indiquer que le gouvernement français pourrait consentir à renoncer aux cinq années pendant lesquelles il lui était permis de continuer la traite, si l'Angleterre voulait l'en dédommager par la cession de quelque colonie. Le cabinet de Londres autorisa le duc de Wellington à offrir à la France, soit l’île de la Trinité, soit une somme d'argent destinée à indemniser les intérêts engagés dans la traite. Le gouvernement français répondit que l’idée de concéder un principe pour de l'argent serait certainement très mal accueillie en France par l’opinion publique, qui y verrait quelque chose de contraire à la dignité du pays, et que, quant à une cession territoriale, elle ne pourrait avoir pour effet de désarmer les intérêts privés contre lesquels on avait à lutter. Les choses en restèrent là (1).

Des questions d’une importance plus directe et plus immédiate ne tardèrent pas à absorber l’attention des cabinets : il ne s'agissait de rien moins que du partage des dépouilles de l'empire français et des bases à donner à l’équilibre européen. Même avant la chute de Napoléon, de graves dissentimens s’étaient manifestés entre les puissances principales; on avait pu alors ajourner les solutions :

(1) On sait que l’année suivante la France, placée dans des circonstances qui ne lui laissaient plus sa liberté d’action, consentit à l’abolition immédiate de la traite.