Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

LORD CASTLEREAGH ET LA SECONDE RESTAURATION. 81

de concevoir la possibilité que le peuple français, ayant eu en 1814 l’occasion de choisir librement qui il lui plairait pour le gouverner dans la forme qui lui conviendrait le mieux, pourrait accomplir la même cérémonie en 1815... La seule chance de paix pour l’Europe consiste dans l'établissement en France des Bourbons légitimes. Celui de tout autre gouvernement, soit dans la personne du duc d'Orléans, soit dans une régence au nom du jeune Napoléon ou dans tout autre individu, soit enfin par la proclamation d’une république, conduirait forcément à la nécessité de maintenir un grand pied de guerre qui achèverait de ruiner tous les gouvernemens européens, en attendant le jour où il plairait au gouvernement français de recommencer une lutte qui ne pourrait être dirigée que contre vous ou contre d’autres états auxquels nous portons intérêt. »

C’étaient là, on ne saurait en douter, les dispositions du cabinet de Londres; mais il n’est pas possible à un ministère anglais, alors même qu'il est composé des tories les plus ardens, d’énoncer hautement l'intention d'imposer un gouvernement à un peuple contre sa volonté. A cette époque surtout, c’eût été fournir des armes trop puissantes à l'opposition qui, dans le parlement, se prononçait contre le renouvellement de la guerre. Le langage officiel adopté par le gouvernement britannique, langage difficile à concilier avec l'accession de Louis XVIII à l'alliance conclue contre Napoléon, fut donc fondé sur ce principe, que cette alliance avait uniquement pour but de renverser l'homme du 20 mars, et non pas de forcer la France à accepter un gouvernement où un prince particulier. En expliquant au duc de Wellington la nécessité d’une telle phraséologie, lord Castlereagh s’efforça de lui faire comprendre que l'intérêt bien entendu des Bourbons autant que les convenances du ministère anglais exigeaient cette précaution.

Les alliés avaient soin d’ailleurs de répéter en toute rencontre qu'ils ne faisaient pas la guerre à la France, mais à l’ennemi de l’Europe, au perturbateur de la France elle-même. On espérait tourner ainsi contre Napoléon l'opinion de la grande majorité du peuple français et l'empêcher de trouver des auxiliaires parmi les hommes qui, sans aimer sa domination, pouvaient craindre pour leur pays les conséquences d’une invasion étrangère. Les Prussiens seuls, entrainés par ce patriotisme haineux et révolutionnaire dont leur gouvernement subissait l'impulsion, ne se prêtaient pas à cette tactique. Les proclamations de quelques-uns de leurs généraux et de leurs commissaires étaient écrites dans un style qui inquiétait parfois la prudence de leurs confédérés, en leur rappelant l'effet produit en 1792 par le manifeste du duc de Brunswick. Les Prussiens au moins avaient dans les emportemens auxquels ils s’abandonnaient le mérite de la franchise; on voyait clairement que la France et Napoléon

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