Mémoire sur la Bastille

LINGUET 7

Alors les prisonniers recevoient des visites; ils se voyoient entre eux familièrement ; ils se promenoient ensemble; les officiers de l’état-major parloient, mangeoient avec eux; ils étoient pour eux des consolateurs autant que des gardiens. La Porte parle en propres termes des libertés de la Bastille ; il donne ce nom à tous les adoucissemens que l’on vient de voir, dont jouissoient lui et tous ses compagnons d’infortune.

Et La Porte parle du règne du cardinal de Richelieu. La Porte étoit un des hommes du royaume qui devoit être le moins ménagé : le despotisme de l’impitoyable ministre étoit personnellement intéressé à lui arracher un secret précieux dont il étoit le confident, ou sa vengeance à le tourmenter t, La Bastille n’avoit donc point dans ce tempslà d’amertumes qu’il n’ait dû boire, ni de tourmens qu’il n’ait dû subir. Que l’on compare sa description avec la mienne (3).

par presque tous les cachots de la Bastille, et il a toujours eu un ou plusieurs compagnons de captivité : libellistes, jansénistes, religieux indignes, déments, fous furieux, fous érotiques, etc. Lui-même nous parait un mystique sensuel, tombé dans une demi-enfance, Cependant, les noms et les faits qu’il nous donne subsistent quand mème et se trouvent généralement confirmés par les pièces authentiques; or, la sensation dominante est celle d’un horrible cauchemar.

1. Pierre de La Porte, confident d'Anne d’Autriche, fut l'intermédiaire des négociations factieuses de cette reine avec la cour d’Espagne, et, en général, avec les ennemis de