Mémoire sur la Bastille

1 PRÉFACE

Pour la deuxième fois en dix ans la royauté féodale avait donné en face de l'invasion anglaise la mesure de son incapacité. Après Crécy, Poitiers. Le roi Jean était captif, le royaume abandonné à luimême, la capitale ouverte. Le dauphin Charles, régent, d’un caractère plus politique que guerrier, en voulait aux États généraux plus encore peut-être qu'à l’ennemi national. C’est au milieu de ces dangers, c’est malgré cette défiance, qu’un homme énergique, le prévôt des marchands Étienne Marcel, chef élu et légal de la bourgeoisie parisienne, guide reconnu du tiers-état français, poursuivit avec une admirable énergie l’œuvre de la réformation intérieure et de la défense militaire. Tout l'espoir de la France et de la liberté était dans Paris. Il entoure de fortes murailles cette patrie commune; à chaque entrée, à chaque porte, il fait placer des bastides, immobiles et vigilantes sentinelles d’une population qui ne veut se laisser ni braver, ni surprendre.

La bastide Saint-Antoine, située près de la porte du même nom qui conduisait à l’abbaye, n'avait probablement rien d’extraordinaire. Lorsque en effet Marcel, succombant à la tâche, conçut le projet désespéré de remettre la cause de la bourgeoisie entre les mains du roi de Navarre Charles le Mauvais, c'est la bastide Saint-Denys qu’il tenta en premier lieu de livrer à son équivoque allié. Déjoué par le parti du dauphin, poursuivi par l’échevin Jean