Mémoires du général Baron Roch Godart (1792-1815)

ARMÉES DU NORD ET DE SAMBRE-ET-MEUSE 25

Ce fut à cette époque que la Convention nationale rendit le décret aussi impolitique queridicule qui ordonnait l'égalité dans toutes les classes des Français, et conséquemment l’usage du fu, de manière que le soldat devait tutoyer son officier, son colonel et même son général. Persuadé, dès le principe, qu’une semblable mesure, non seulement anéantirait entièrement la discipline, mais encore Ôterait toute espèce d'autorité aux chefs, je résolus, de concert avec mes officiers, de ne point soufirir l'exécution de ce décret; et, pour ne point le faire connaître aux soldats, je le mis au feu. Le maire d’Eclaibe, l'ayant reçu par le courrier suivant, s’empressa de le publier, de sorte que ma précaution devint en quelque sorte inutile.

Deux de mes soldats, assez mauvais sujets, profitant de la licence publique, vinrent quelques jours après chez moi, et me tinrent, en propres termes, les expressions suivantes: « — Godart, — nous te prévenons que nous manquons à l'appel ce soir. » Indigné d’entendre pour la première fois un pareil langage, la patience m'échappa : je fermai promptement la porte à double tour; je pris une canne, et leurs dis de demander pardon à l'instant de l’insulte qu'ils venaient de me faire. Voyant qu'ils ne faisaient que rire aux éclats, j'en terrassai un à coups redoublés; je pris le second, et je le terrassai sur le premier, le poing sur la gorge, en les menaçant que j'allais les assommer s'ils ne me demandaient pardon. Ces làches me demandèrent grâce, se mirent à genoux en me demandant excuse, et promettant que jamais pareille chose ne leur arriverait. Je les renvoyai en leur ordonnant d’aller expressément raconter à leurs camarades ce qui venait de se passer, sans quoi je les aurais mis en prison pour quinze jours.