Mémoires sur Naigeon et accessoirement sur Sylvain Maréchal et Dalalande : lu à l'Académie des sciences morales et politiques

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aimé, il devra être beaucoup pardonné, j'ajoute même beaucoup payé, pour les bienfaits, quoique non sans mélange, que nous avons reçus de lui.

Quand je m’exprime ainsi, on ne peut douter des sentiments dans lesquels j'aiessayé de lui rendre pleine etentière justice.

Cependant je désirerais ajouter quelques derniers mots afin de les mieux établir.

Il se pourrait que précisément, pour l'honneur de ce siècle, il parût inopportun et fâcheux de trop rappeler et trop remettre en lumière, surtout en ce qu’elle a de plus hasardé , une philosophie, qui nuit à sa gloire, et que d’ailleurs on estime aujourd'hui sans crédit et sans force , et comme vieillie sans retour.

Je conçois ce scrupule, et je serais tout prêt à y céder, si je n’en avais un autre, si je n'avais une sollicitude qui a certes aussi sa gravité. A-t-on bien, en effet, la confiance qu'il n’y a plus à craindre de nos jours de ces retours, et comme de ces réveils philosophiques , qui ramèneraient les esprits vers des doctrines qu’on croit éteintes, mais qui ne sont qu'assoupies et, à l'occasion peut-être, se reproduiraient avec une nouvelle énergie? S'assure-t-on bien qu'élles n’ont ni chance ni cause de renaissance? N’en reconnaîton de traces ni de symptômes nulle part? Sait-on si notre jeunesse, maintenant bien peu exercée, bien peu prémunie en matière de philosophie, n’est pas tentée du côté de ces principes et de ces maximes, qui trompent mais qui flattent son esprit d'indépendance et de libéralité ?

Où va-t-elle, sans boussole, et de flots en flots poussée, et ramenée, à son insu, en arrière quand elle croit avancer?