Mémoires sur Naigeon et accessoirement sur Sylvain Maréchal et Dalalande : lu à l'Académie des sciences morales et politiques

En pe.

de l'adulation et de la satire (1). » Monge disait un jour devant Bonaparte à Delalande (c'est Delalande lui-même qui le rapporte) : « Vous êtes un athéetchrétien ; » à quoi celui-ci répondit : « Mon athéisme est le résultat de mes méditations sur l’univers; mon christianisme, le résultat de mon expérience sur les hommes. » Il y a un peu de cela dans Naigeon, sauf peut-être qu'il faudrait plutôt dire de lui qu’il fut un athée stoïcien; tant avec son athéisme, il avait dans le cœur de rigoureuse honnêteté, de sévérité, de rude et austère probité. On sait ce qu'écrivait de lui et pour lui Diderot, au moment de partir pour la Russie : « Comme je fais un long voyage, et que j'gnore ce que le sort me prépare, s’il arrivait qu’il disposàt de ma vie, je recommande à ma femme et à mes enfants de remettre tous mes manuscrits à M. Naigeon, qui aura pour un homme, qu'il a tendrement aimé, et qui l'a payé de retour, le soin d’arranger, de revoir et de publier tout ce qui lui paraîtra ne devoir nuire ni à ma mémoire, ni à la tranquillité de personne : c’est ma volonté et j'espère qu'elle ne trouvera pas de contradiction. » Cette confiance de l'amitié l'honore et doit, avec ses autres titres à notre estime morale, achever de lui mériter quelque considération dans les recherches dont il va être ici l'objet.

Mais il est une autre raison, plus considérable et plus

(1) Comme confirmation de ces paroles , et sans attacher du reste à cette particularité plus d'importance qu'elle n'en mérite, je donnerai ici le cachet de Naigeon, qui m'a été communiqué par un ami de sa famille, et qu'on peut regarder comme sa devise morale : Fidem, libertalem et amicitiam, præcipua humani animi bona (Tacite, discours de Galha à Pison).