Michelet et l'histoire de la Révolution française

22 MICHELET. — HISTOIRE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE

revenu sur la question de la Révolution dans son article de la Revue des DeuxMondes inlitulé : « Philosophie de l'Histoire de France ». Cet article est une protestalion contre la conception fataliste de l’histoire de France, qui peu à peu s'élait inlroduite dans les esprits par l'enseignement universitaire, conception où l’on cherchait à {rouver l’unité et la continuité de notre histoire en montrant,par une marche nécessaire et providentielle,la Royauté fondant l'égalité en nivelant tout au-dessous d'elle, la Révolution détruisant l’absolutisme royal et faisant l’unilé par la Terreur, Napoléon rélablissant l’ordre par le despotisme dans la France désorganisée, enfin l'invasion et les Bourbons brisant ce despolisme pour créer le régime représentatif. Tout se trouve ainsi expliqué et justifié. Quinet discerne cette vue fataliste chez presque.tous les historiens, chez Thiers, chez Guizot, chez Buchez et Roux, chez Augustin Thierry et Louis Blanc et surtout dans l’Æistoire de France de Lavallée, qui avait alors une grande action dans l’enseignement. Il s’insurge conlre celte conception, qui anéantit la liberté humaine et il prétend au contraire que la royauté française, bien loin d'accomplir une œuvre bienfaisante et conforme aux vœux el au développement normal de la nation, a opprimé et anéant les libertés anciennes du peuple et la tradition française qui voulait fon-! der l'Etat sur les privilèges des villes et des classes. La Révolution serait alors un réveil du vieil esprit de liberté de la France du moyen âge.

Dans sa Révolution, Quinet veut protester de même contre les idées fatalistes qui prétendent justifier la Terreur et toute la marche de la Révolution, Il veut noter les erreurs, les fautes, les crimes, fruit de la libre action des volontés ; mais, bien qu'il prélende avoir le premier établi la suite logique des événements et donné à l'histoire de la Révolution une base scientifique, il m'est impossible de trouver dans son livre autre chose que des considérations sans lien solide, loujours élevées, parfois profondes, mais dont ne ressort aucune conclusion ferme et nette.

Au moment où Tocqueville rendait le service de remettre l’histoire de la Révolution à sa place dans le développement de l’histoire de France, de lui enlever le caractère prodigieux, exceptionnel, démoniaque ou providentiel, que ses adversaires et ses admirateurs avaient voulu lui attribuer, pour lui rendre son caractère de phénomène naturel, expliqué par tout ce qui la précède et l'accompagne, un étranger, Henri de Sybel, rendait le service de remettre l’histoire de la Révolution à sa place dans l'histoire générale de l’Europe, et d'étudier le contre-coup des événements de France sur l’Europe et de la politique européenne sur la France. Pour lui, la Révolution française n’est qu'une des faces d’un grand phénomène historique : la destruction du régime féodal en Europe, phénomène dans lequel l’anéantissement de la Pologne et la dissolution de l'Empire germanique ont joué aussi un rôle considérable. M. de Sybel a eu un autre mérite, celui de s’efforcer de renouveler l’histoire de cette période en étudiant les documents d'archives que ses prédécesseurs, même Michelet, cependant chef de la division historique aux Archives, n’avaient que très peu consultés. Un seul historien, M. Mortimer Ternaux, qui publia les cinq volumes de sa grande Histoire de la Terreur de 1861 à 4867, après y avoir travaillé vingt ans, avait eu cette préoccupation de remonter partout aux documents originaux, à ceux conservés dans les Archives et Bibliothèques autant el plus qu'aux ouvrages imprimés. Considérant la Révolution comme un phénomène européen, M. de Sybel avait exploré