Michelet et l'histoire de la Révolution française

MICHELET. — HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE 93

les archives de Berlin, La Haye, Munich, Londres, Naples et Vienne, avant même de fouiller celles de Paris. Sans doute cette exploration n’avail pas pu être complète ni même suffisante, mais elle avait été fructueuse. M.de Sybel avait eu encore un autre mérite. Non seulement il avait, comme M. Thiers, et avec une élendue et une profondeur de connaissances bien supérieures, fail une très grande place dans son livre à l’histoire diplomatique et à l'histoire militaire ; il avait aussi compris l’importance dans l'histoire de la Révolution des questions économiques. el il avait ouvert sur ce point une voie où il a été suivi par M. Taine et par M. Jaurès surtout, mais où l’on ne pourra avancer avec une certitude suffisante, que lorsque les publications de documents, récemment entreprises en France sur l’histoire économique de la Révolution, seront beaucoup plus avancées.

Enfin M. de Sybeleut un dernier avantage sur ses prédécesseurs. C'est qu'après avoir, en 4850, publié la première édition de son ouvrage, il ne la considéra que commie une ébauche, comme un canevas; il se mit aussitôt à la remanier de fond en comble, grâce à des recherches nouvelles dans les archives. Les éditions de 1865 el de 1869, publiées après que l'Empereur Napoléon lui eut ouvert les archives diplomatiques et miliaires françaises, constituaient un ouvrage presque nouveau. Aussi, malgré les imperfections et les erreurs quelquefois’ surprenantes de louvrage de M. de Sybel, malgré sa partialité contre la France, el ce qu'il a de paradoxal à faire de la question de Pologne le pivot principal de la politique européenne, malgré le défaul, que partage M. de Sybel avec Thiers, Michelet et Louis Blanc, de ne pas renvoyer en détail à ses sources, son livre marque une date capitale dans l'étude de la Révolution française. On peut dire que l’histoire impartiale et scientifique prendra désormais pour règles les termes dans lesquels il a posé le problème.

L'œuvre historique la plus importante dont l’histoire de la Révolution ait été l’objet depuis l’apparition de l'ouvrage de M. de Sybel, l'£Zurope et la Révolution française de M. Sorel, à été visiblement, non pas inspirée, mais provoquée par lui. Mais, chose curieuse, tandis que le livre de M. de Sybel intitulé : Histoire de la Révolution française, tendait à diminuer avec excès l'importance du rôle de la France et surtout des affaires intérieures de France par rapport au mouvement général de la politique européenne, l'ouvrage de M. Sorel, où l'Europe occupe dans le titre la première place, tout en ayant pour sujet même les relations de la Révolution avec l’histoire générale de l'Europe, montrait avec raison que, malgré tout, le rôle de la France fut prépondérant, non seulement par ses victoires el ses conquêtes, mais parce que l’action extérieure de la France élail en grande partie déterminée par son histoire intérieure el surtout par les traditions séeulaires de sa politique générale. Tandis qué M. de Tocqueville avail marqué le lien entre l’évolution des institutions révolutionnaires et napoléoniennes et celle des instilutions monarchiques antérieures, M. Sorel montre le lien de la politique et des guerres de la Révolution et de l'Empire avec la politique et les guerres de la monarchie de l’ancien régime. M. Sorel à mis vingt ans à préparer son œuvre par une étude approfondie des documents originaux conservés dans les archives françaises. On peut regretter qu'il n'y ait pas joint l'étude des archives étrangères, mais il pouvait dans une certaine mesure s’en dispenser, grâce au nombre considérable de publications de documents