Michelet et l'histoire de la Révolution française

MICHELET. — HISTOIRE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE 27

cœur des hommes qui l'ont faite, el d’avoir essayé d'analyser leurs idées et de faire revivre leurs passions. Il ne s’est pas contenté de tenter de pénétrer dans l'âme des révolutionnaires, il a lenté aussi de voir et de montrer, à colé des institutions théoriques, l’élat réel des choses dans la France en révolution Disons que Taine n’a ni vu ni dit toute la vérité sur ces deux points, mais il a cherché à la voir et à la dire; il Pa cherchée par une mélhode scientifique, et ce qu'il a fait reslera durable sur quelques points, fécond sur tous.

Le terrible crilique de M. Taine, M. Aulard, à lui aussi composé une œuvre de synthèse historique sur la Révolution. Il a publié en 1891 une très remarquable /istoire politique de la Révolution française de 1789 à 1804. Ce livre est, à lous les égards, la contre-partie du livre de TaineCelui-ci ne nous montre que les passions déchaïnées ; M. Aulard s'attache à marquer le développement des institutions : là les Français paraissent un peuple d’énergumènes et de bêles féroces; ici un peuple de législateurs. Si lon voit dans le fond du (héâtre le vague reflet de scènes de carnage, ces violences ne sont que le résultat fatal de la guerre. Quand la France est victorieuse à Fleurus, la Terreur disparaït d'elle-même.

M. Aulard a, comme M. Taïne, une idée systémalique qui fait la trame de son livre. La Révolution de 4789 a élé inspirée par deux idées principales : l'égalité et la souveraineté populaire. Elle n’a pas d’abord vu que ces deux idées poslulaient la démocratie et la République. Elle a essayé de fonder une monarchie constitutionnelle bourgeoise et censitaire qui a croulé, laissant le désordre derrière elle. La République démocratique de 1793 n’a pu vivre, par suite des violences auxquelles l’état de guerre l’a contrainte, et elle a laissé la place à la République bourgeoise du Direcloire, qui a été emporlée à son tour par les idées démocratiques et par la Républiqué plébiscitaire du Consulat.

M. Aulard qui, depuis (rente ans, consacre toute son activilé de savant, | de professeur et d'écrivain, à l'histoire de la Révolution, est un des hommes qui connaissent le mieux loutes les sources de cette histoire. Tout ce qu'il a écrit sur la Révolution repose sur une base scientifique des plus solides. Son Histoire politique de la Révolution française, le seul ouvrage général qu'il ailéerit, est infiniment instructif: mais, comme il était fatal, il n’envisage la vaste question de la Révolution que sous un angle très particulier, et les théories politiques y prennent nécessairement une importance telle que les événements et les hommes passent au second plan.

Une année après l'apparition du livre de M. Aulard, paraissaient les deux premiers volumes d’une hisloire générale de la France contemporaine composée sous la direction de M. Jaurès. Histoire assez malheureusement qualifiée Æéstoire socialiste, ce qui semblait indiquer qu'elle serait inspirée par un pari pris doctrinal, avec l'idée préconçue de montrer l’idée socialiste comme le point nécessaire d’aboulissement de lout le mouvement de l'histoire de France. Heureusement, dans l'exécution, cette hisloire à été envore plus sociale que socialiste, et à eu le mérite de donner aux questions économiques et sociales une place très grande, place légilime qu'on ne leur avait pas faite jusque-la. En ce qui concerne la Révolution, Sybel et Taine avaient élé à peu près les seuls à s'en préoccuper.

Les divers volumes de celle histoire ont, pour la plupart (1), élé pré-

(1) Le volume de M. Renard sur la République de 1848 fait, ainsi que ceux de M. Jaurès, une heureuse exception.