Orateurs et tribuns 1789-1794

L'ESPRIT DES ORATEURS DE LA MONTAGNE. 299

Et docile à l’appel des sceptiques, la foule brisa les dieux, guillotina les rois, mit le feu aux toiles, aux rideaux, les passions se firent un nouveau dictionnaire, Clio, muse de l’histoire, s’arma du poignard de Melpomène, et les Français, comédiens ordinaires du bon Dicu, devinrent les tragédiens de la Fatalité. Le parterre a envahi les loges, la plèbe est sur la scène, jouant un drame inédit, un drame vertigineux où manquent le machiniste, l’impresario, l’auteur, où les acteurs se heurtent dans un tourbillon continuel, à la recherche d’un dénouement qu'ils ignorent, où des poignées de figurants décident de tout, où chaque acte, chaque scène se terminent par une victoire sur nos frontières, par des lois de proscription, par des fournées de guil lotine. On saitla légende runique de la fameuse mélodie de Stroemkarl dont on ne doit jouer que dix varialions; le musicien initié se hasarde-t-il à exécuter la onzième variation, de grands malheurs viennent fondre sur le pays tout entier : la nature s’émeut, les montagnes, les rochers commencent à danser, les maisons, les chaises, les tables, hommes, femmes, petits enfants, animaux dansent, et tout est bouleversé ! En France chacun se crut virtuose et essaya de jouer la onzième variation.

On pourrait dire de la multitude jacobine qu’elle ressemblait à ce mendiant ivre dont parle Heine, qui avait remarqué que, tant qu'il demeurait à jeun, sa maison lui paraissait une hutte infecte, sa femme un