Séance de rentrée des cours de la Faculté de théologie protestante de Paris, le samedi 7 novembre 1903

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Sur ce point, il n'a pas varié; car dans les dernières lignes de son dernier livre, il écrivait encore : « Qu’ai-je à craindre? Le sort de l'Univers. Avec tout ce qui vit et qui respire, les mondes euxmêmes se dissondront pour renaître... Les soleils s'éteindront pour se rallumer. Demanderai-je pour moi un privilège qu'ils n’ont pas? Non! j'accepterai le sort commun à tous les êtres : vivre, mourir, pour revivre (1). » Ici notre philosophe religieux se rencontre mot pour mot avec la pensée du premier roi protestant d'Angleterre. Quand Édouard VI mourut, on trouva dans son « prayer-book » cette maxime, écrite de sa propre main : To live, to die; Lo die, to live again.

Mais, pour Quinet, la religion n'était pas seulement une égoïste et contemplative aspiration vers l'idéal divin; elle avait sa racine dans la conscience même et devait y stimuler les vertus domestiques et sociales. « La religion de l'avenir, celle qui fera la synthèse des cultes particuliers, sera une religion de droit et de liberté; car la seule dans laquelle les peuples affranchis reconnaîtront l'âme de leur âme, la conscience de leur conscience, sera celle qui, ayant éliminé les dogmes dangereux, prêchera sur toute la terre l'Évangile véritable de Jésus-Christ (2). » Et, quarante ans après, avec une singulière conséquence, il insistait sur ce caractère actif, personnel de la morale.

« La moralité, écrivait-il, n’est pas seulement un don, elle s’acquiert par l'effort, elle s’affermit par la volonté, elle grandit par la même loi qui fait que tout être lutte, combat, résiste dans la nature et dans l'homme. Qui s'excepte de cette loi, se met en dehors de la nature et de l'humanité. Aidons en nous l’homme nouveau à paraître. Nous sentons des ailes intérieures qui battent au dedans. Aidons cet être nouveau à sortir de sa chrysalide, à prendre son essor. Dépouillons les écailles, les griffes du monde tertiaire (3). »

Et ce qu'il a dit, il l’a fait. Edgar Quinet a mis en pratique ses principes, il a vécu sa religion.

(1) V. Esprit nouveau, p. 343. (2) Avenir de la Religion. (3) La Création, II, p. 323-324.