Séance de rentrée des cours de la Faculté de théologie protestante de Paris, le samedi 7 novembre 1903
_%HI Edgar Quinet ne fut pas seulement un historien et un penseur religieux indépendant; il a été un des plus beaux caractères que j'aie connus. Il était digne de faire partie de cette noble phalange de républicains de 1848, qui s'appellent Bancel, Barni, Victor Chauffour, le colonel Charras, Eugène Pelletan.
Sa qualité éminente, c’est la sincérité. Il cherchait avec ardeur la vérité, et, une fois découverte, il n’hésitait pas à la publier franchement, sans égard pour personne, pas plus pour ses amis que pour ses adversaires politiques. Il a pratiqué cette sincérité dans ses narrations historiques aussi bien que dans l'histoire de ses propres idées. J'en citerai deux exemples.
Il avait eu, dans sa Campagne de 1815, à apprécier le rôle joué par le maréchal Davout, duc d'Auerstädt, dans la Convention de Paris, qui prépara l'entrée des alliés dans la capitale, et Pavait nettement blâmé. Une fille du maréchal, M” de Blocqueville, lui écrivit pour défendre la mémoire de son père. Quinet, dans sa réponse, tout en atténuant la sévérité de sa critique par l'éloge des exploits antérieurs de Davout, maintint son jugement : « Il m'en a coûté, Madame, disait-il, de dire avec la rudesse de l'historien ce que je crois être la vérité. J'ai tout sacrifié à la vérité, etje suis en exil pour la servir. J'ai osé dire la vérité sur le maréchal Ney, sur Grouchy, sur Napoléon, contre l'opinion publique presque entièrement aveuglée, contre tous les historiens et contre mes propres amis (1). M" de Blocqueville, désarmée par cette franchise, lui garda son estime et conserva avec lui des relations courtoises.
Quatre années après, dans son livre sur la « Révolution », il n’eut pas plus de ménagements pour les adorateurs fanatiques de Danton et de Robespierre, et ne craignit pas de démolir l’idole révolutionnaire. Il y eut aussitôt un « tolle » d’indignation dans le camp républicain, ou plutôt, comme il l'appelle, « dans l'Église jacobine ». Louis Blanc, Chauffour, les rédacteurs de l'Avenir national, appuyés — chose étrange! — par les journaux bonapartistes, l'accusèrent de pactiser avec la réaction, de fournir des armes aux adversaires de la Révolution. Quinet ne céda pas un pouce de
(1) Lettres d'exil, IT, p.123 et 138. Année 1861.