Souvenirs de Russie 1783-1798 : extraits de journal de Mme Leinhardt

40 J. CART

repousser la force par la force. Ce soir, nous verrons partir 4 bataillons du régiment des gardes, ce qui fera 4.000 hommes. Le régiment de Kazan passera aussi aujourd’hui, ce qui formera déjà un corps d'armée capable de faire face à l'ennemi. Le grand-duc a été très content des dispositions des troupes qu'il a trouvées à Ve où lui-même a été reçu avec transport. Notre flotte cherche la flotte suédoise et nous attendons tous les jours la nouvelle de quelque événement. Alexis Spiridoff commande la division qui forme l’avantgarde. Animés par la vengeance, on oublie presque la guerre avec les Turcs. L'Impératrice a demandé un don gratuit de soldats à la noblesse. Si chacun fait ce qu'il doit, nous aurons bientôt une armée de 50.000 hommes, et si la paix ne se fait avant le printemps, nous aurons 80.000 hommes pour entrer en campagne. On nous dit que le roi de Suède s’est fait faire une armure complète en argent, comme celle que portait Gustave-Adolphe et qu'il ne quitte jamais son corps, même quand il lui arrive d’être en frac. »

Le 21 : « Dépêches de l'amiral Greigh. Bataille navale. L'amiral a pris un vaisseau de 80 canons et fait prisonnier le vice-amiral (suédois). Les deuxflottes s'étaient rencontrées à huit heures du matin, à 100 verstes de Cronstadt, mais le combat ne s’engagea que vers les dix heures du soir, parce que le commandant suédois faisait des manœuvres pour avoir l’avantage du vent, et que l'amiral Greigh cherchait à les rendre inutiles : en quoi il réussit. Lui-même ne voulait se battre que contre le vaisseau qui portait le duc de Sudermanie, mais celui-ci, après avoir tiré deux bordées de canon, se retira parmi sa flotte. Presque tous nos vaisseaux de ligne furent engagés, mais les frégates ne furent point employées. Nos soldats se sont battus en braves et les Suédois en désespérés ; leur artillerie était admirablement servie, mais le vent leur portait la fumée au visage, de manière qu'ils ne pouvaient distinguer les objets comme les nôtres. Le calme et le sang-froid de l'amiral Greigh durant l'action étaient inconcevables. Il portait deux pistolets à sa ceinture et une lunette d'approche à la main. Il n'a pas quitté le tillac un instant et il a même reçu une contusion à la jambe, et sa chambre a été eriblée de boulets. Les soldats avaient l'air si animés que les nouvelles recrues même déchiraient leurs habits, n'ayant plus de bourres pour servir le canon. L’action dura plus de deux heures. Dès que le commandant suédois eut baissé son pavillon, Greigh dit à son aide de