Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

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CAMPAGNE DE 1807 : EYLAU, FRIEDLAND 89

traints de repasser une seconde fois sur l’'horrible champ de bataille d'Eylau : les morts occupaient la même place, mais les blessés, qui n’avaient pu rejoindre la ville, s’étaient entassés les uns sur les autres, pour éviter le froid, au nombre de trente à quarante, sur les bords des chemins. Nous passàmes auprès de ces montagnes de mourants, dans les interstices desquelles on voyait des bras se soulever, gratter la neige et la porter à des bouches décolorées et prêtes à exhaler un dernier souffle de vie (1). Nous entrâmes dans la ville, où la mort frappait à grands coups. Toutes les maisons étaient absolument remplies de morts et de blessés russes et français confondus, de sorte que, pour trouver un abri dans cette ville, les vivants étaient obligés de prendre leur place aux morts. Qu'on se figure le spectacle de tous ces cadavres jetés dans les rues, nos convois d'artillerie les écrasant dans la neige, et cette masse de Russes blessés, que notre armée était obligée de mettre dehors pour avoir un abri, péchant dans la fange des ruisseaux, dévorant sous nos yeux des pieds de bestiaux, tristes débris de nos passages, on n’aura qu'une faible idée de ces horreurs!

Ney, douloureusement affecté et ne voulant point abandonner tant de braves qui pouvaient encore

(1) Cette effroyable vision, qui fait songer au célèbre tableau de Gros (Musée du Louvre), est également rappelée dans les Suuvenirs militaires de Montesquiou-Fezensac, alors aide de

camp du maréchal Ney, souvenirs très intéressants à rapprocher de ceux d’O. Levavasseur. (Note de l'éditeur.)