Un Agent des princes pendant la Révolution : le Marquis de La Rouërie et la conjuration bretonne 1790-1793 : d'après des documents inédits

230 LE MARQUIS DE LA ROUËRIE

une singulière aberration, le Comité livrait cette puissance illimitée, ce droit souverain de vie et de mort à deux hommes en qui il n'avait nulle confiance, puisque, le même jour, il expédiait secrètement à leur suite l’espion Sicard', muni de pouvoirs non moins étendus et chargé, au premier soupçon de trahison, de faire arrêter Chévetel et Lalligand et de se substituer à eux dans l'exécution de leur mission®?.

Si quelque chose prêtait au comique dans le drame que nous racontons, ce serait la méfiance réciproque de ces trois espions : à peine sont-ils arrivés sur leur terrain d'opération que Lalligand, la mort dans l'âme, dénonce au Comité son compère Chévetel ; Sicard soupçonne fortement Lalligand ; Chévetel a peur de tout le monde : il consent à livrer ses amis à l’échafaud, mais il tient à conserver leur estime, combinaison délicate, exigeant

1. Voir page 183.

2 « 7 février 1793.

« Le Comité de Sûreté générale et de Surveillance à la Convention nationale autorise le citoyen Sicard de se transporter dans les départements de la ci-devant province de Bretagne pour surveiller la commission donnée par le comité aux citoyens Latouche-Cheftel et Lalligand-Morillion, le charge d'instruire le Comité des détails journaliers de ce qui se passera pendant celte opération, lui donne le pouvoir de faire mettre en état d’arrestation lesdits Latouche-Cheftel et Lalligand-Morillion dans le cas seulement de trahison ou de prévarication dans la commission dont le comité les a chargés, subrogeant alors le citoyen Sicard à leur lieu et place et l’autorisant à faire toute réquisition à la

force armée qu'il jugera nécessaire. » Archives du Département des Affaires étrangères, 1409.