Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

29 CHAPITRE PREMIER

nité de mœurs et la constance de quelques usages sont le seul frein du despotisme ; il se demande en conséquence : « Est-il inutile d'offrir à un peuple léger, insouciant, à un peuple habitué à tous les vices des âmes faibles, le hideux tableau de la servitude et de la tyrannie ?... Est-il superflu, en l’avertissant des écueils que la religion sème sous ses pas, de lui apprendre à adorer cette philosophie rude et ferme à laquelle il doit, sinon la liberté, au moins le moyen de la recouvrer? »

Comme catéchisme philosophique, le premier ouvrage de d'Antraigues n'a plus de valeur; comme peinture de l'Orient, il n’ajoute rien aux publications de même date et de même esprit dues à Savary et à Choiseul-Gouffier. Il demeure donc uniquement intéressant comme témoignage des pensées et des croyances de l’auteur pendant la première période de sa vie.

Quelques semaines avant la mort de son maitre, le 11 juin 1778, d'Antraigues s'était embarqué à Toulon sur Le vaisseau le Caton. Par une curieuse coïncidence, la première côte qu'il entrevit dans la Méditerranée fut celle d'Utique, et comme il se croyait alors une âme romaine, il ne manqua pas de saluer de loin la mémoire du dernier républicain de l'antiquité. L'homme du dixhuitième siècle reparut bien vite en lui. Quelques jours après, devant Cythère, à travers les îles de l’Archipel, les souvenirs des beaux-arts, du paganisme élégant des Grecs, le ressaisirent. Il alla songer à Phidias dans les carrières de Paros et à Homère sur l'emplacement des ruines de Troie. Deux fois pourtant on le voit s’arracher à ses contemplations esthétiques ou à ses recherches érudites ; il pense alors à la femme aimée, inconnue pour nous, qu'il vient de perdre, et grave son nom sur un bloc d’albâtre. Bel exemple de fidélité, dira-t-on.