Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

24 CHAPITRE PREMIER.

attendaient à chaque étape. Un jour leur conducteur ou cavasse, en chargeant brutalement la foule empressée autour de leurs voitures, écrasa et fit expirer une femme sous leurs yeux. « Notre voyage, écrivait la princesse à Constantinople, fait autant de mal à l'empire de Sa Hautesse que la dévastation des Infidèles. »

C'était pourtant, en dépit de ces malencontreux épisodes, un voyage à la fois pittoresque et sentimental. D'Antraigues goûtait, chemin faisant, les beautés de la nature orientale et les jouissances d'une liaison près de finir, témoin cette page : « La princesse et moi nous étions à cheval, empressés de parcourir ces retraites sauvages et délicieuses. Le chant du rossignol, celui de tous les autres habitants des bois nous rappelaient des jours plus heureux. Nous mourions d'envie de nous écarter dans les bois et de retrouver dans ces vastes solitudes le palais d'Armide ou le bosquet de Julie, mais vainement nous le désiràämes ; il fallut y renoncer, le bois étant rempli de voleurs, et on ne permettait à personne de perdre les voitures de vue. Effectivement, de loin nous en vîimes une troupe postée sur une éminence, qui s’enfuit à notre approche. La princesse détacha son ruban et le pendit à un arbre : « C'est, dit-elle, que je fais une offrande aux nymphes du pays. J'aurais voulu leur offrir un hommage plus digne d'elles, mais au moins quelque chose de moi restera dans ce désert. » Ainsi, c'était toujours, entre la belle Phanariote et le jeune voyageur, un échange d’effusions où la pensée de la fidélité survivant à une séparation prochaine n'entrait pour rien : « Quand je ferme les yeux, disait la première, je ne sens que ma perle; quand je les ouvre, je ne vois plus que ce qui me reste. »

Cette habituée du sérail, on le voit, était une précieuse.