Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

VOYAGE EN ORIENT (1778-1779). 25

Le soir, à la halte, elle tenait salon sous la tente ou dans le taudis qui les abritait; elle oubliait alors ou faisait oublier les fatigues de la journée et les incommodités du gite. D'Antraigues se peint dans une de ces réunions, lisant quelques pages de Rousseau et déclamant la dernière lettre qu'il a reçue de lui.

Après avoir traversé les Balkans et le Danube, et souhaité en vain d'aller en pèlerinage à la tombe d'Ovide, les voyageurs arrivèrent en Pologne, où ils se dispersèrent. Un matin, à Léopol, d’Antraigues trouva à son chevet une lettre d'adieu en style d’héroïde, rédigée par la princesse en vue de lui épargner l'épreuve d'une dernière entrevue, Une fois sa douleur de circonstance exhalée et apaisée, il reprit en Pologne et en Allemagne le cours de ses observations philosophiques, politiques et économiques. À Varsovie, il obtint audience du roi Stanislas-Auguste, et visita dans leurs palais et leurs maisons de plaisance les principales familles du royaume, les Lubomirski, les Potocki, les Czartoryski. Il s’indigna, avec une colère que ne partageaient certamement pas ses amis parisiens, contre le démembrement de 1772; il en déméla sur place les origines, et, bien qu'il en attribut la principale responsabilité au roi de Prusse, il se plut à montrer la Sémiramis du Nord, l’idole des philosophes, comme « l’âme la plus atroce, le cœur le plus corrompu qui ait jamais existé ». Déjà en Turquie il avait dénoncé, à cause de leurs excès ou de leurs fautes, ces conquérants russes, transformés trop aisément par Voltaire et ses disciples en libérateurs de l'Orient.

De Pologne, après avoir visité les fameuses salines de Wiéliezka, notre voyageur vint à Vienne, où l'ambassadeur de France le présenta à Kaunitz et dans les meilleures sociétés. Cette ville lui plut peu; il croyait sentir

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