Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

26 CHAPITRE PREMIER.

partout autour de lui l'esprit de superstition et de routine, et pensait avec colère qu'il avait dû mettre sous scellés, à son entrée dans l'empire, les œuvres de Rousseau, sauf à en recouvrer l'usage hors des États de la dévote impératrice. Il regagna enfin la France par la Bavière, dans les derniers mois de 1779.

Les notes prises sur sa roule, les lettres écrites d'Égypte ou de Pologne à ses amis de Constantinople composent un recueil qui devait former la première partie de ses mémoires. Au point de vue liltéraire, c'est une œuvre médiocre et incohérente. L’érudition qui s'y étale est celle d'un amateur intelligent, apte à vérifier sur place Jes connaissances d'autrui, nullement à les accroître. Les hommes, et surtout les Francais, y sont assez maltraités ; les femmes, depuis la princesse Ghika jusqu'à la dernière odalisque, sont toutes peintes avec indulgence. L'auteur a visité l'Orient l'âme pleine des pensées de Jean-Jacques. Sans négliger les ruines et les manuscrits, il à étudié principalement les institutions et les mœurs; de là une succession de scènes tantôt voluptueuses, tantôt violentes, où il se met souvent en scène, avec son tempérament exubérant, toujours prompt aux belles phrases, aux caresses, aux accès factices de tendresse ou d’indignalion. Ce philosophe armé contre toute tyrannie politique et religieuse a trouvé chez les Tures ample matière à gémir et à s'irriter. Un jour il a vu pendre dans sa maison, au milieu des siens, un paysan coupable d’avoir disputé son cheval à des eunuques; un autre jour il a aperçu le grand visir bâtonnant et clouant par l'oreille contre sa porte un boulanger soupçonné d’avoir vendu à faux poids, et la colère, ici et Là, s’est emparée de son âme. Ailleurs, c’est la pitié qui l'emporte, en présence d'une