Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

XI

13 décembre 1802.

Un déjeuner « dînatoire » prié, qui vient de me retenir près de quatre heures à table, m’ôte, ce soir, toute envie de diner, à mon heure habituelle. Au lieu de manier ma fourchette, je vais essayer de finir ma digestion, la plume à la main.

Je regretterais le temps perdu à ce malencontreux déjeuner, si je n’y avais trouvé une occasion d’observer les manœuvres d’une espèce d’aigrefins, joueurs de profession, lorsqu'il s’agit de vider les poches d’un étranger jugé par eux bon à plumer. Ces « messieurs » avaient jeté leur dévolu sur un jeune compatriote à moï, dont les façons généreuses à l’égard d’un émigré rentré depuis peu avaient allumé leurs convoitises. Comme on m'avait rencontré fréquemment avec ce jeune homme, on me croyait de son intimité, et les bons apôtres avaient pensé faire coup double, en nous invitant tous les deux à leur agape. Pour me faire mieux tomber dans le panneau, ils avaient imaginé un stratagème assez ingénieux. Depuis mon arrivée, j'avais donné à entendre, de divers côtés, que je désirais extrêmement être présenté au général Moreau et obtenir l'accès de sa maison. Invariablement