Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

UN HIVER À PARIS SOUS LE CONSULAT, 139

on me répondait que la chose était à peu près impossible, Moreau se confinant de plus en plus dans la retraite.

Qui donc ces messieurs ont-ils eu l’idée de me faire espérer à leur déjeuner? — Un propre parent du général. — Au sortir de table, le prétendu parent de Moreau m'aborde en effet et s’informe très poliment de mon adresse, voulant, dit-il, m'inviter chez lui, la première fois qu'il aura le général à dîner; la connaissance faite, il m'introduira chez son parent. L’empressement du personnage à me faire ses offres de service, le milieu de fidèles de la dame de pique dans lequel je le trouvais, et ce que je sais pertinemment des relations de Moreau, tout cela me mit en éveil. Une enquête rapide et discrète dans l'assistance, au sujet du nom et du logis de mon homme, confirma mes soupçons sur sa valeur. Convaincu que nous étions dans un guépier, je finis par faire partager mon opinion à mon jeune compatriote, et je réussis à l’entraîner plus tôt qu’il ne s'y fût décidé, dans son inexpérience du monde interlope. Cette fois, nos aigrefins en ont bien été pour leurs frais, car le menu avait été plantureux.

Après un déjeuner pareil, on fait triste figure à dîner. Le rôle de convive saturé d'avance, toujours déplaisant, à mon avis, aussi bien pour le convive que pour son entourage, est d'autant plus difficile à soutenir ici que l’on n’a plus, comme autrefois, la liberté de faire son choix parmi les mets qui encombrent la nappe. Le maître de la maison met une insistance fatigante à offrir absolument tout ce qui figure sur la table. Il surveille rigoureusement ses invités: à peine a-t-on posé sa fourchette qu’il faut accepter ou refuser un autre plat sans avoir le temps de souffler. Vis-à-vis d’un étranger soupçonné de timidité, ces obsessions n’ont pas de fin. Pour s'assurer un peu de