Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT, 293

tions de théâtre, qui a paru charmé de l'intérêt que je prends aux scènes parisiennes.

Un détail de ce dîner vaut la peine d’être signalé aux connaisseurs : les glaces, exquises et de parfums très variés, ont été servies au salon, après que l’on fut sorti de table, pendant que l’on se groupait autour des feux des cheminées. Une attention de ce genre ne peut être que l'invention d’un gourmet raffiné, qui n’est pas un moins fin dégustateur. Les glaces sont, en effet, le mortel ennemi des vins que l’on boit généralement au dessert; elles leur ôtent tout leur bouquet. Le café brûlant, au contraire, n’a que plus de saveur, quand on le prend après les glaces; mais pour l’apprécier pleinement, il faut avoir les excellentes dents que possèdent les Français. C’est, pour moi, un attrait tout particulier des réunions parisiennes, d'y voir hommes et femmes montrer, en causant, les plus belles dents du monde.

Peu de chose à dire, cette fois, de mes soirées théâtrales ; je n'ai fait que revoir des pièces dont je vous ai parlé. Il y a eu cependant un incident à l’Opéra-Buffa. Depuis trois mois, la directrice, Mme Montansier, ne paye plus ses artistes. Mme Strinasacchi, la première chanteuse, a trouvé le procédé mauvais; elle a fait dire qu’elle partait pour la campagne et s’est verrouillée chez elle, refusant de jouer. Mais le préfet du palais, qui a la surveillance de ce théâtre, lui signifia de se présenter devant lui et lui notifia, au nom du gouvernement, qu’elle et ses camarades devaient se décider à chanter ou à quitter Paris dans les vingt-quatre heures. Il promettait que si les artistes faisaient preuve de bonne volonté, pendant une quinzaine, le gouvernement payerait deux mois d'appointements arriérés. Grâce à cette intervention un peu soldatesque, la Wolinara n’est plus muette!