Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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compensation musicale. On donnait l'Opéra-comique (1) de Della Maria et D'auberge en auberge (2), deux œuvres dont j'apprécie le mérite depuis longtemps. La fleur de la troupe a paru : Mmes Dugazon et Saint-Aubin, les ténors Martin et Elleviou, Chenard comme basse. — Quel ensemble, quel naturel, quel charme! Il y a un siècle que je n’ai joui d’une soirée pareille.

Au théâtre Louvois (3), on joue, depuis quelques jours, une pièce dont le titre avait alléché le public : Molière, ou La lecture du Tartuffe chez Ninon (4). L'auteur met en scène des illustrations littéraires et autres, dans leurs costumes de l’époque. Mais, au langage qu'il leur fait tenir, on ne se douterait guère qu'il s’agit de Corneille, Racine, Chapelle, Boileau, du grand Condé. Un commis sournois, qui ne peut entendre prononcer le mot « coquin » sans croire que c’est de lui que lon parle, a seul déridé le public. Il est probable que l'on applaudissait des allusions à quelque personnage connu. Le fiasco de cette pièce ne saurait être imputé aux acteurs, qui ont fait de leur mieux.

De la comédie à la politique, la transition me sera permise, je présume.

Par suite de l'absence du Premier Consul, en tournée

(4) En un acte : Cette opérette conserve des traces du talent qui avait fait le succès du Prisonnier, début de Della Maria, en 1796.

(2) D'auberge en auberge, trois actes, paroles de Dupaty, musique de Tarchi, le meilleur des six opéras français de ce compositeur, qui avait eu des succès en Italie et à Londres. Venu à Paris en 1797, Tarchi y est mort oublié en 4814.

(3) Ce théâtre, entre les rues Sainte-Anne et Richelieu, sur l'emplacement de l'hôtel Louvois, fut ouvert en 1791 ; l'architecte Brongniart avait bâti une salle vaste, commode et élégante, alors occupée par la troupe de l'Odéon.

(4 Molière chez Ninon, où La lecture du Taxtuffe, comédie en un acte et en vers par Dubois et Chazet.