Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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haute taille, son embonpoint lui donne un aspect quelque peu colossal. Avec ses yeux noirs étincelants et son abondante chevelure couleur d’ébène, sa personne ne laisserait jamais deviner que l’on est en face du délicat compositeur que vous savez. Le Premier Consul l’a fait venir, il y a environ un an, pour composer un opéra français. Si la besogne ne semble guère sourire à l'artiste napolitain, en revanche, les conditions qu’on lui fait sont superbes : trois mille livres par mois, un appartement, des domestiques et un équipage! Il dirige de plus la chapelle privée du Premier Consul, tout en conservant son titre de maître de chapelle du roi de Naples qui lui a accordé un congé. On lui avait proposé d’abord un poème de Lemercier ; Paisiello s’est récusé, ne se sentant pas capable, m'a-t-il confié, de faire chanter, pendant tout un opéra, un fantôme ayant le rôle principal. On s’est rabattu sur Proserpine, vieux libretto de Quinault, arrangé par Marmontel (1) ; le second acte est composé, l’œuvre entière sera livrée après le nouvel an.

L'aimable Gossec (2), sa petite personne potelée et sa perruque blonde forment un contraste complet, au physique comme au moral, avec le maëstro italien. Toujours cordial et bienveillant, le vieux maître porte gaillardement ses soixante-dix ans; il est encore un des inspecteurs les plus actifs du Conservatoire de musique. Il espère beacoup de cet institut et compte, m'a-t-il dit, que quelques-uns des chanteurs stylés sous sa direction sauront me réconcilier avec le Grand Opéra et m’engager à travailler pour cette scène. Notez que Paisiello a déclaré

(4) Et mis en trois actes par Gaillard, pour la circonstance.

(2) Gossec, né à Vergnies dansle Hainaut, en 1733, avait soixanteneuf ans. Cet éminent créateur de la symphonie en France est resté un professeur zélé jusqu'à l’âge de quatre-vingt-un ans.