Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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vieil oncle. J'ai revu chez eux un compatriote, l’astronome Burckhardt (1), commensal habituel du logis et auxiliaire de Lalande, comme la savante nièce.

Le géomètre sénateur Laplace était à ce dîner. Sa réserve et sa politesse, rappelant l’ancienne cour, ne ressemblent guère aux façons des Français d'aujourd'hui; elles ne révéleraient jamais le savant éminent. Son ton un peu raide était amusant à observer, comparé à l’abandon humoristique et aux plaisanteries parfois salées du pétulant amphitryon. Les manières de Mme Laplace, élégante Parisienne à la mode nouvelle, formaient un contraste non moins piquant avec l'animation de la nièce de Lalande. Il s’est élevé entre ces dames une discussion qui vaut la peine d’être mentionnée.

Bonaparte vient de décider qu'il n’y aurait que trois professeurs de latin et trois professeurs de mathématiques par école publique. On dresse une liste des livres qui seront exclusivement admis dans les écoles. Mme Lalande, dont le fils fréquente une école, trouvait que l’enseignement ainsi organisé est insuffisant; Mme Laplace, ayant également un fils à l’école, était d'opinion contraire. Comme elle ne réussissait pas à rétorquer les arguments de son érudite contradictrice, M. Laplace vint à la rescousse, en disant fort sérieusement, sans l'ombre d'ironie, qu'il pouvait certifier que c’était le Premier Consul en personne qui avait réduit les programmes. Il ajouta qu'il avait lu dans les volumineux procès-verbaux de la commission chargée d'organiser lenseignement ces mots écrits de la main même du Consul : « Trois maitres de mathématiques et trois maîtres de langue française, ça

(1) Burckhardt (J.-Charles), né à Leipsick en 1773. collaborateur de Zach et de Lalande, est mort à Paris en 1895, adjoint au Bureau des longitudes.