Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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exigences, les caprices d’un « virtuose ». Mais l’art, les virtuoses eux-mêmes y gagneraient, si le public savait distinguer la valeur d’un artiste doué de culture générale, de celle d'un talent n’ayant parfois pour lui que la singularité, ou un mérite analogue à celui du ventriloque qui attire les curieux au café d’un sous-sol du PalaisRoyal fréquenté par les officiers, amateurs d’une bière qui ressemble à l’ale.

Un de ces soirs, en sortant du théâtre Montansier avec des amis, j’ai été voir dans sa cave le virtuose du ventre; c’est le propriétaire du café. Le bonhomme, qui a une tête de fermier anglais, se tient assis près de l’entrée, audessous d’une fenêtre ouvrant sur la galerie des arcades du Palais-Royal; ses plaisanteries consistent en ceci : lorsqu'un habitué amène un visiteur, dont le nom est glissé en passant à l'oreille du ventriloque, celui-ci répète le nom comme si quelqu'un appelait par la fenêtre. Le ventriloque se retourne et demande, de sa voix naturelle, ce que l’on veut. Puis, de sa voix du ventre, il répète le nom en ajoutant que le nouveau venu est mandé immédiatement chez son supérieur, si c’est un militaire, chez telle ou telle personne, si c’est un civil : le rendez-vous est toujours fort éloigné. Reprenant alors sa voix naturelle, il s'adresse aux consommateurs, s'informe si un tel n’est pas là, et, sur la réponse affirmative, s'acquitte de la commission. Si l'individu interpellé hésite et veut être renseigné, le ventriloque recommence son manège, simulant un dialogue avec le prétendu passant de la galerie; cela dure jusqu'à ce que le tour soit joué. En revenant plus tard au café, le mystifié, généralement un militaire, fait une scène au ventriloque. Certain d’être appuyé par l’assistance, celui-ci oppose aux injures un flegme imperturbable, répond en usant d’une façon plai-